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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

Le conteur venu d'ailleurs
Henri Mitterand   Zola, tel qu'en lui-même
PUF 2009 /  25 € - 163.75 ffr. / 215 pages
ISBN : 978-2-13-057082-0
FORMAT : 15cm x 22cm
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Henri Mitterand, reconnu internationalement comme «le» spécialiste de Zola, n'en a pas fini avec son auteur de prédilection : à quatre-vingts ans passés, celui à qui l'on doit déjà une dizaine d'essais sur l'écrivain, l'édition complète de son oeuvre dans la Pléiade, ainsi qu'une imposante biographie en trois tomes parue en 2002, revient une nouvelle fois sur celui qu'on surnomma le «père du naturalisme».

Le titre, Zola tel qu'en lui-même, est à lui seul tout un programme : dès l'introduction, Mitterand défend la nécessaire rénovation de l'approche du grand écrivain, dont l'oeuvre romanesque a trop souvent été comprise comme la stricte application de ses propres théories littéraires. En effet, il rappelle que c'est Zola lui-même qui inventa le concept de «naturalisme» - qu'il préféra au terme «réalisme» - et que les innombrables développements qu'il publia sur ce thème ont entraîné les analystes à le croire sur parole, au risque de passer à côté de tout un pan de son génie : «on a ainsi confondu ce que la linguistique moderne nous a appris à distinguer : le discours et le récit» (p.VIII). En effet, si l'on a souvent réduit Zola au positiviste disciple de Taine et Lucas, voire au scientiste appliqué à démontrer la véracité des thèses sur l'hérédité et le déterminisme biologique de son temps, Mitterand démontre qu'il est également - et peut-être surtout - un conteur à l'imagination immense, dont la démesure tranche avec le rationalisme dont il se prévalait. Il n'est cependant pas question pour Mitterand de remettre en cause le naturalisme zolien, mais de le relativiser», en pratiquant «un aller-retour permanent du discours au récit et du récit au discours» (p.XI). Mitterand se propose donc de relire l'oeuvre de Zola, ou plutôt de la «dé-lire», en distinguant plusieurs périodes au cours desquelles le discours de l'écrivain a lui-même évolué, imprimant à ses romans de nouveaux objectifs.

Dans la partie consacrée aux genèses de son oeuvre, il revient sur les sources multiples de la personnalité intellectuelle de Zola, mêlant influences romantiques issues de ses lectures de jeunesse de Michelet et d'Hugo, auxquelles s'agrégèrent le positivisme de Taine et de Lucas, ainsi que le travail et les recherches des peintres impressionnistes. Dès ses premiers romans, Zola applique une méthode qui restera immuable tout au long de sa vie : l'écriture de chaque oeuvre est précédée par un immense travail préparatoire, les «avant-textes», constitués de centaines de feuillets, qui comprenaient toujours une ébauche du projet, les fiches détaillées des personnages, le plan détaillé et à plusieurs reprises remanié, ainsi que de multiples notes de lectures ou d'enquêtes. Une documentation si dense qu'elle n'a été encore qu'insuffisamment étudiée et qui permettrait, si les chercheurs prenaient la peine de la dépouiller exhaustivement, de mieux comprendre le processus de création de l'oeuvre, beaucoup plus complexe encore que ce qu'on en sait déjà. Car si à première vue le travail de Zola s'apparente fortement à une «écriture à programme», l'étude approfondie des allers-retours incessants de l'écrivain entre les avant-textes et l'écriture finale des romans, montre qu'il déconstruisait souvent son modèle au fur et à mesure : comme si entre le projet de départ et sa réalisation finale s'immisçait ce sur quoi Zola n'a jamais discouru, à savoir les composantes mythiques de son imaginaire, la puissance de sa rêverie, et son trop-plein de déraison.

Une autre étude qui mériterait selon Mitterand d'être aujourd'hui poussée plus avant est celle de la spatiographie romanesque de Zola : les villes, les quartiers, les campagnes sont décrits dans la fiction avec une minutie, une précision et une intuition telles que l'historiographie aurait tort, comme elle l'a souvent fait, de négliger leur valeur de témoignage, aussi bien sur l'espace industriel de l'époque que sur la perception du vécu de cet espace par les mentalités populaires. Un travail sur l'espace qui s'intensifie en même temps qu'il évolue dans les dix dernières années de sa vie : avec Les Trois Villes, après plus de vingt ans passés à la série des Rougon-Macquart (1871-1893) - qui prétendaient autant étudier les tares héréditaires d'une famille sur cinq générations que dépeindre la société du Second Empire -, Zola semble chercher à donner une autre allure au roman. Le naturaliste qu'il s'est toujours prétendu être laisse ainsi place au «grand rêveur des étrangetés de la ville», que Mitterand n'hésite pas à apparenter déjà, avec vingt ans d'avance, aux surréalistes !

Zola rêveur, fantaisiste, monstre de démesure, mais aussi véritable génie politique, comparable en son temps à ce que furent Voltaire et Hugo : Mitterand rappelle que dans toute sa carrière littéraire, depuis ses débuts de journaliste chroniqueur, jusqu'à son rôle dans l'affaire Dreyfus, il n'a cessé de se montrer un républicain convaincu et critique : censuré sous le Second Empire, il n'en dénoncera pas moins les compromis et les détours de la IIIe République, toujours près à conspuer la censure, le césarisme et le racisme.

On retiendra finalement un point essentiel de ces deux-cents pages proches de l'hagiographie, parfois polémiques même, tant Mitterand ose s'aventurer loin dans les pistes qu'il emprunte : qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir aux analystes littéraires pour comprendre tout le processus de création de l'oeuvre zolienne, et que la révision critique est loin d'être achevée. Près de cent ans après sa mort, on est loin d'avoir mesuré l'immensité du génie littéraire, la folie d'invention et d'écriture, de celui que Mitterand n'hésite pas à définir, dès les premières pages de son introduction, comme «un conteur qui vient d'ailleurs, (...) un Grec des débuts de la tragédie, qui obéit instinctivement aux principes de la démesure plus qu'à ceux de la rationalité».

Mitterand ne prétend pas à cet égard apporter toutes les réponses, mais semble vouloir réveiller, par un aiguillon très socratique, une critique moderne aux jugements prématurément définitifs. Comme s'il voulait s'assurer, en passant le flambeau des études zoliennes, que ses successeurs ne le laisseront pas s'éteindre.


Natacha Milkoff
( Mis en ligne le 24/03/2009 )
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