| Alain & Odette Virmaux Dictionnaire des mouvements artistiques et littéraires. 1870-2010 - Groupes, courants, pôles, foyers éditions du Félin 2012 / 35 € - 229.25 ffr. / 565 pages ISBN : 978-2-86645-768-6 FORMAT : 14,8 cm × 22,9 cm Imprimer
Cela vous a des allures dinventaire à la Prévert, ou à la Saint-Pol Roux qui fut, paraît-il, un créateur particulièrement fécond de termes en isme : avec pas loin dun millier de notices, le dictionnaire élaboré en 1992 par le couple Virmaux et remis au goût du jour offre, dans un nécessaire éclectisme, un tour dhorizon des mouvements artistiques et littéraires, en France comme à létranger.
Louvrage étant, daprès lavertissement liminaire, sans prétention scientifique ni à lexhaustivité, passons rapidement sur les lacunes quimplique tout exercice relevant du recensement dictionnairique. Dabord les inévitables oublis : pas de trace, devant les mardistes et les samedistes, des lundistes belges, ni de mention du roman Handji de Robert Poulet dans la notice consacrée au réalisme magique ; rien sur le Wagnérisme, qui nourrit pourtant dimportants débats intellectuels en France comme en Allemagne ; et pourquoi navoir pas évoqué les récentes revues Cancer ! ou Multitudes si lon parle bien du Mauss ou de Vacarme ? Parmi les présences incongrues, on notera lalbigéisme (qui aurait pu être juste évoqué sous lentrée occitanisme), le genre cinématographique du péplum ou encore le synoptisme polyplan, technique de mise en page du poème certes intéressante mais qui ne fédéra autour delle aucune chapelle. Enfin, quelques traitements paraîtront disproportionnés ou de faveur en regard dautres, trop sommaires : ainsi de la Revue Blanche, expédiée en dix lignes, ou encore de la notule consacrée au personnalisme qui paraît bien maigre face à la copieuse page sur les plasticiens de Présence Panchounette.
Voilà pour la part la plus ingrate de la présentation, car force est de reconnaitre quau-delà des péchés véniels énumérés ci-dessus, louvrage simpose comme un outil de référence fort appréciable. Le choix du terminus a quo, à savoir le tournant de 1870, est judicieux, puisque cest véritablement à partir de lavènement dune certaine modernité que se mirent à foisonner les groupes dartistes se revendiquant dune attitude esthétique devant lart comme devant la vie. Par quel bout commencer quand il sagit denvisager le pullulement de cercles, collectifs, écoles et autres salons qui depuis cette époque se structurèrent, parfois pour se dissoudre aussitôt ? Lordre alphabétique semble bien le plus confortable, même si l'on peut samuser à tenter des catégories englobantes. Il y aurait dabord les ''révélateurs'', à linstar de lArmory show, cette «gigantesque exposition internationale, qui souvrit à New-York en 1913 [
] et symbolise en quelque sorte la conquête de lAmérique par lart moderne» ; sans ce happening, quand Gauguin, Picasso ou Braque auraient-ils été découverts aux States ? Puis les ''accélérateurs'' : incluons-y, parmi dautres, le groupe Charon en Allemagne qui ouvrit la voie à lexpressionnisme. Les ''connecteurs'', qui serviraient de passerelles entre artistes : cétait la vocation du Club des poètes ou de Lesprit nouveau. Pas très loin, on rencontrerait les ''passeurs'' qui marqueraient la transition entre courants, avec les Nabis, charnière entre impressionnisme et fauvisme, ou avec lacméisme, entre symbolisme et futurisme. Les ''fédérateurs'', animés par un esprit quasi corporatif, à limage du Bauhaus réunis autour de Gropius. Enfin, les ''rupteurs'', marquant une opposition : les critiques au Pop art formulées par les tenants de lart conceptuel, le bris du joug mâle dans lart féministe, les lacérations de toiles par les Japonais du Gutaï, la remise en question de la psychiatrie par lécole de Palo-Alto, etc.
Mais soumettre à de nouvelles étiquettes ces nébuleuses, qui sont souvent autant de laboratoires de la pensée et de la création, cest bien entendu en nécroser le dynamisme intrinsèque, en figer la fluidité et laudace. À côté des «bulldozers» que sont limpressionnisme, le symbolisme et le surréalisme, létat des lieux présente une myriade de mouvements informels, spontanés, parfois réduits à deux membres (Audiberti et Bryen présidant à labhumanisme), voire à un seul (Saint-Pol Roux, qui tenta de se définir comme idéoréaliste, ou Jules Romains et sa vision unanimiste). Quand il ny a pas de figure émergente, on se plaît dailleurs à sinterroger sur le devenir des individus qui peuplèrent ces agglomérats de talents, souvent jeunes, et qui se sont comme évaporés, comme par exemple les cinq Aristocrates libertaires des années 80
Si ce nest donc une personnalité forte, quasi papale, autour de quoi se cimente un groupe ? Cela peut être un lieu (on sait limportance de Barbizon ou Pont-Aven en peinture), une figure romanesque (le bovarysme), une pose provocatrice (les jemenfoutistes, qui en toute logique ne dépassèrent pas le numéro un de leur journal), un personnage créé de toutes pièces (les mathématiciens dissimulés sous le pseudonyme de Bourbaki). Il peut arriver que les artistes soient embrigadés, malgré eux, et identifiés à une esthétique dont ils seraient partie prenantes sans exclusive : la Movida espagnole prend ainsi Pedro Almodovar pour héraut alors quil ne sy reconnaissait pas complètement, et nombre de romanciers des années 30 se sont découverts populistes par voie de presse
Avec plus de bonheur, des entités collectives cultivent malgré tout le respect de lindividu et appliquent la devise édictée par le Mercure de France : «Chacun ici est absolument libre, responsable de ses seuls dires et point solidaire du voisin».
On le constate, les domaines couverts par le dictionnaire sont larges : le cinéma (à épingler, la délectable notice sur le divisme italien), la musique, le théâtre, la bande dessinée, jusquau computer art. De même en ce qui concerne la géographie : on croise des affirmations régionalistes (lécole de Brive corrézienne), localistes (avec les Chiliens du criollismo) ou identitaire (le félibrige ou les Américains sudistes se surnommant «Fugitifs»). Des mises au point permettent de faire la différence entre les avatars de limaginisme, désignation commune à des réalités distinctes selon quon est chez les Soviets ou en Suède. Côté revendications, cest là aussi le joyeux bordel. Aux envolées humanistes, aux cabrements anti-totalitaires semblent répondre les positions de principe absconses, tel le «Abolissons la tyrannie des bien portants» clamé dans la Revue doloriste dun Julien Teppe. La radicalité est de mise chez les Inflamables (sic), qui nhésitent pas à sombrer dans lillégalité en détruisant des installations dart contemporain. Tout esprit de sérieux disparaît dans une fumisterie consommée, sous les coups de boutoir des incohérents, situs, cannibali italiens et autres hydropathes en goguette. La rage de créer des ismes devient elle-même, comme spéculairement, objet de dérision
On se souvient ainsi de laliboron-Boronali de Dorgelès qui, en trois coups de pinceaux, créa lexcessivisme. Pourtant, qui a dit que, depuis la fin des idéologies, il nétait plus de mouvements intellectuels ? Peut-être sont-ils moins nombreux, moins tapageurs aussi, mais enfin, «le cadavre bouge encore». Témoins : la revue Inculte ou le Manifeste pour une littérature-monde
Enfin, on pourra toujours utiliser cette véritable encyclopédie dans lidée de briller en société et de laisser ses interlocuteurs pantois à lévocation de lAtomskald islandais, du Gelanggang, des hitchocko-hawksiens, du poporanisme, du Bhavakavitvam, du Club des longues moustaches et de Zen 49. De quoi ne pas mourir idiot et, qui sait, sinspirer pour créer un néoquelquechosisme qui va forcément bouleverser lhistoire de lhumanité !
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 14/05/2012 ) Imprimer | | |