Anne Reverseau I hate Paris - Petite anthologie du désamour - De Rabelais à Mano Solo Parigramme 2013 / 9 € - 58.95 ffr. / 111 pages ISBN : 978-2-84096-805-4 FORMAT : 13,3 cm × 18,3 cm Imprimer
Des livres sur Paris : il en existe par milliers et justement Parigramme est une des meilleures (sinon la meilleure) maisons déditions spécialisées dans ce domaine. Mais des livres sur la détestation affirmée de Paris
cest plus rare ! On aborde donc avec curiosité ce petit ouvrage au titre provocateur, écrit par une normalienne qui enseigne la littérature française en Belgique, à luniversité KU Leuven ; le sous-titre : Petite anthologie du désamour de Rabelais à Mano Solo ; là aussi, tout un programme !
Dès la première phrase de lintroduction le ton est donné : «Tout individu arborant un tee-shirt I love Paris est un étranger : cette plaisanterie entendue à Paris est symbolique du rapport problématique de la capitale avec elle-même. Elle rappelle la boutade de Flaubert, qui résonne aujourdhui étrangement : «Ne pouvoir se passer de Paris, marque de bêtise ; ne plus laimer, signe de décadence» (Dictionnaire des idées reçues). Alors que les déclarations damour sont de plus en plus discrètes et que les détracteurs de Paris gagnent en ferveur, serions-nous en pleine décadence ?»
Une introduction argumentée et intelligente ouvre louvrage qui est complété dune bibliographie, dun index et dune liste de sources. Huit chapitres qui déclinent différents paysages parisiens : Paris basse-cour, tristesse, snobisme, à létroit, vulgaire, naufrage, pour finir (de façon logique) par Paris ras-le-bol. Anne Reverseau a regroupé autour de ces thèmes des citations, le plus souvent assez brèves, dauteurs venus de tous horizons, étrangers, provinciaux, mais aussi parisiens.
Paris est critiqué ou détesté - pour de multiples raisons et depuis
toujours. Sont imbriqués les reproches inhérents à toute grande ville : le bruit, la foule, les embarras et divers encombrements, la perte de moralité, la vie exténuante, etc. ; et les reproches spécifiques à Paris, ou plus exactement au parisien, vu comme un être arrogant, fat, insupportable, irrémédiablement snob. «Paris est la seule ville du monde où en tous les milieux ne pas connaître une mode est un signe dinfériorité» (Nino Frank, «S.nob.», Bifur, 1930).
Les citations qui disent la déception sont impitoyables : «Pour un Guadeloupéen nourri de fantasmes sur la Ville Lumière, Paris surprend. Est ce là en vérité la cité tant vantée ? Pierres tristes des façades, pavés gras luisants de pluie, métros malodorants pris dassaut par une population miteuse et harassée, bars emplis de soiffards cherchant le réconfort du gros rouge» (Maryse Condé, Les Derniers rois mages, 1992). «Ville putride, ville ignoble, ville hideuse. Ville triste, lumières tristes dans les rues tristes» (Georges Perec, Un homme qui dort, 1967). Paris, ville sans espaces verts ; Giraudoux constate avec une ironie grinçante que les cimetières y sont plus nombreux que les espaces verts : «Honneur à la ville qui prévoit plus doxygène pour ses morts que pour ses enfants !» (''Paris et Berlin'', LIntransigeant, 1930). En contrepoint des critiques qui sexpriment chez Rabelais, Rousseau, ou Thomas Dutronc, un autre thème : celui du ''cétait mieux avant'', de la nostalgie : «Paris nest plus la cité des Temps Modernes», constate Le Corbusier en 1933 (La Cité radieuse).
Paris ville sale, triste, où les habitants ne savent que courir, mais sont aussi ce peuple de badauds dont se moque Rabelais ; et si en fait Paris souffrait dêtre trop objet de fantasmes
ville imaginaire, rêve qui inévitablement se fracasse au quotidien ? À lire cette anthologie, on se prend à douter brièvement des charmes de Paris mais
laissons la conclusion à Alphonse Karr : «Le vrai Parisien naime pas Paris, - mais il ne peut vivre ailleurs» (Le Diable à Paris, 1853) ; et renvoyons le lecteur à une utile lecture complémentaire, aux mêmes éditions Parigramme : Pierre Antilogus, Je suis parisien... mais je me soigne.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 06/05/2013 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Je suis parisien... mais je me soigne de Pierre Antilogus |