| Catriona Seth Lettres à Sade Thierry Marchaisse Editions 2014 / 14.90 € - 97.6 ffr. / 152 pages ISBN : 978-2-36280-057-3 FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm Imprimer
On ne le connaît pas tant que ça, si ce nest de nom : on glousse un peu en évoquant ses penchants, on imagine des scènes bien stéréotypées, on fantasme, on lubrique
Mais Donatien François Alphonse de Sade, ci-devant marquis, demeure un inconnu notoire dont les écrits comme la dépouille méritent une redécouverte. Et pour évoquer cette figure qui, bien avant Blanqui, mériterait le surnom de «lenfermé», rien de mieux quune honnête correspondance, de celle que lon adresse à un ami, un ex compagnon, une célébrité admirée, un modèle
poste restante.
Cest tout le projet singulier, et plaisant, de la collection Lettres à
des éditions Thierry Marchaisse : engager le dialogue, reprendre la conversation, interpeller un auteur, le confesser, voire le soumettre à une analyse sauvage. Pour le marquis de Sade, loccasion le bicentenaire de sa mort et de sa disparition complète simposait. Cest Catriona Seth, spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, qui a réuni dans ce volume très plaisant quelques épistoliers que ni le temps passé, ni la modernité qui affadit tout, ni lacadémisme, ni la mort de leur correspondant, ni même laura un peu sulfureuse de lentreprise nont arrêtés.
De la verve, de lesprit, de laudace ou encore de le profondeur, chacun sadresse au divin marquis sur un registre qui lui est propre : on le défie un peu en lui donnant, au féminin, quelques leçons de modernité (H. Laroche), on lencense habilement en se racontant (F. Priser), on décide de rompre avec lui (C. Cusset, N. Chatelet), on lencage dans une interview télé (L. Kaplan), on ose même jouer avec son crâne au destin si singulier (A. Casas Ros), on interroge sa philosophie (C. Prigent), on le traque en bibliothèque tel un fantôme (A. Coudreuse), on lui dit littérairement merci (P. Jourde), on sinterroge sur son présent de défunt (F. Ost) ou même on lui avoue son amour (L. Vasquez).
Pour le lecteur averti comme pour le candide passé à côté de luvre du marquis de Sade, cette série de lettres est une belle introduction, en ce quelle dit beaucoup de lauteur, de la vigueur de son imagination, de son appétit de liberté et de transgression
sans tomber dans lanalyse littéraire surplombante, ou le name dropping sans intérêt. Écrivant au Siècle des Lumières, Sade est demblée sollicité à ce titre, comme grand témoin : en tant que philosophe («connais toi toi-même» ?) autant que comme libertaire égaré dans une époque qui était seulement libérale. Son athéisme est envisagé jusque dans ses ultimes moments, ses fantasmes sont soupesés à laune de notre propre actualité. Pas de licencieux ni de crapuleux dans ce volume, on laisse la chair aux autres, mais plutôt une réflexion sur la fortune, au sens antique du terme, le destin, dun auteur vilipendé, enfermé, oublié puis ressuscité, en attente peut-être dun procès en bonne et due forme ?
Sade semble revenir à la mode, ou du moins à la marge de notre société, et quelques beaux essais récents (Khomeiny, Sade et moi dAbnousse Shalmany, ou encore La Passion de la méchanceté, la lecture à charge de Michel Onfray) rappellent la charge émotionnelle des écrits du marquis, quon voit en lui un révolutionnaire subversif ou un délinquant lettré. Ces Lettres à Sade sinscrivent dans cette relecture, sans en revendiquer le caractère engagé, militant : il ne sagit pas de mettre à nu le prisonnier de lasile de Charenton, ou de le placer sur un piédestal, mais simplement de sasseoir à ses côtés, dans sa cellule, pour relire avec lui quelques-unes de ses pages à laune de notre présent.
Un volume subtil, où lhumour discret et la retenue permettent déviter tous les écueils du genre en donnant à voir lessentiel : un écrivain.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 01/12/2014 ) Imprimer
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