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Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
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Le maître de Saint-Florent-le-Vieil | | | Julien Gracq Entretiens José Corti 2002 / 18.5 € - 121.18 ffr. / 320 pages ISBN : 2-7143-0763-9
avec Jean-Louis de Rambures, Jean-Louis Tissier, Jean Roudaut, Jean Carrière, Jean-Paul Dekiss, Bernhild Boie. Imprimer
"Panthéonisé" de son vivant en entrant dans la Pléiade, Julien Gracq est aujourdhui un des rares écrivains français à sêtre attiré sinon une admiration, du moins un respect quasi unanime. Il ny a plus guère que les coups de griffe dun Bernard Frank - "Cest un Montaigne sans génie. Enfin, il ninvente pas les Essais." - pour faire ombre au tableau dune histoire damour idyllique entre la France et un écrivain de 91 ans, retiré dans sa maison de Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire). Les différents entretiens réunis aujourdhui courent sur plus de trente ans, de 1970 à 2001. Ils présentent le portrait multiplié dun homme qui, sil put notamment, en témoin à la fois passionné et lucide de son époque, vivre lengouement du surréalisme (dans la proximité de Breton), a néanmoins toujours su préserver lindépendance de son art.
Si, malgré les questions insistantes de ses différents exégètes (Jean-Paul Dekiss en particulier), Julien Gracq répugne à évoquer "les secrets de fabrication", disant à lenvi que ce qui intéresse au premier chef lartiste est la forme finale, et quune fois celle-ci accomplie, les différentes péripéties de la genèse sont oubliées, il se montre en revanche très soucieux de ce qui fait la singularité dun écrivain : la sienne bien sûr, mais aussi celle des rares élus (Poe, Stendhal, Breton, Wagner, "mes seuls véritables intercesseurs et éveilleurs") qui jalonnent son parcours de lecteur. Interrogé par Jean-Louis Tissier en 1978, lauteur est également amené à revenir sur limportance qua représenté pour lui la géographie, à lépoque où celle-ci était encore une science vivante, pas encore technicisée. "Je me demande quelquefois ce quest le monde des gens qui nont pas de formation géographique", sinterroge Gracq pour qui cette discipline étudiée à luniversité fut essentielle à "léducation de lil".
Les réflexions de Gracq sur lhistoire, à partir de laquelle il balaye pas mal didées reçues sur la littérature, frappent par leur pertinence. Elles sont loccasion pour lécrivain dévoquer une "littérature en voie de nivellement", thèse que le postmodernisme à la Houellebecq ne confirme, hélas, que trop. De même quelles lui permettent de ressaisir Jules Verne (lumière pérenne de ses lectures denfance) dans la spécificité de sa situation historique, précisément à la charnière entre deux univers, deux paradigmes : lidéologie de la culture, passéiste, et lidéologie de la science, progressiste.
On s'étonnera de jugements à lemporte-pièce sur le Nouveau Roman ("cette époque puritaine des Pères fondateurs, qui a mis la littérature en carême", dit Julien Gracq en écho à son interlocuteur Jean Carrière, pour qui le Nouveau Roman relèverait "plutôt du côté Farces et Attrapes que dune réelle exploration de terres inconnues") ou sur Sartre, réduit au statut d"agitateur didées". Il nempêche, indispensable complément aux Lettrines et au célèbre En lisant en écrivant, ces Entretiens nous offrent pour la première fois un tour dhorizon complet de la culture et de la sensibilité de lécrivain.
Thomas Regnier ( Mis en ligne le 05/02/2002 ) Imprimer
Ailleurs sur le web :Lire un extrait de ce livre sur le site des éditions José Corti | | |
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