| Rosa Montero La Folle du logis Métailié - Bibliothèque hispanique 2004 / 18 € - 117.9 ffr. / 204 pages ISBN : 2-86424-507-8 FORMAT : 14x21 cm
La Loca de la Casa (2003). Traduit de lespagnol par Bertille Hausberg. Imprimer
Rosa Montero est un auteur espagnol majeur dont nous ne connaissons hélas en France que Le Territoire des Barbares (Métailié, 2002). Espérons quaprès cette goûteuse Folle du logis, ses autres romans connaîtront une traduction française car lun des enseignements sous-jacents à cet essai littéraire est quil faut se jeter dans cette prose ibérique, féminine, joyeuse et tout simplement belle !
Voici un livre dont on ignore sil relève de lautobiographie, de lessai, du roman ou du billet dhumeur. Cette confusion des genres est révélatrice en soi de lintention première de lauteur : parler de la littérature, de la création romanesque, de son amour des lettres, en parlant des livres, les siens, ceux des autres, et de soi. Laspect hybride de louvrage est ainsi révélateur du moment : le roman chercherait une identité nouvelle. Ayant quitté le continent granitique des productions tolstoïennes ou balzaciennes, oeuvres dun autre temps, hésitant entre les îlots complaisants et faciles de lautobiographie masquée, le roman se cherche et se reconstruit dans «une période particulièrement métisse» (p.134). On acquiesce.
Parler trop directement de soi ne relève pas de la littérature, nous explique Rosa Montero : le vécu nest quune matière première que limagination, la folle du logis, doit exploiter mais ne jamais rendre nu. De quoi jeter aux orties les états dâme et souvenirs des auteurs en mal de sujet, conteurs nombrilistes de leurs maladies, chagrins damour, voyages en Thaïlande et sexualité hors normes. Ici encore, on acquiesce. Ecrire, cest transcender le réel, animé dune imagination débridée (que diable !), de lectures nombreuses, jamais assouvies, porté par une vanité dépassant la moyenne, quelques névroses aussi. Cest accepter et réapprendre la part de folie en soi.
On lit donc, chapitre après chapitre, cet exposé convaincant et gai, parsemé de nombreuses références littéraires, de souvenirs décrivain et aussi de travaux pratiques. Lauteur illustre en effet son propos par lévocation romanesque dun souvenir, une amourette dans lEspagne franquiste avec un acteur anglais renommé. Elle réécrit plusieurs fois l'histoire, lui donnant des colorations nouvelles à chaque fois, au point de la travestir, jouant de coups de théâtre et deffets de scène. Sagit-il en fait dun souvenir ? CQFD...
«La réalité est toujours ainsi : paradoxale, incomplète, débraillée. Cest pourquoi le roman est le genre littéraire que je préfère, avoue-t-elle, celui qui se prête le mieux au caractère décousu de la vie. [...] Le roman est lunique territoire littéraire où règnent la même imprécision, la même démesure que dans lexistence humaine. Cest un genre hybride, agité, pas net.» (p.119). On lit ailleurs : «Ecrire, cest flotter dans le vide» (p.76) et le roman, «la schizophrénie autorisée» (p.24). Bref, cest fou, bohème, insaisissable, avec une attention malgré tout particulière pour les détails qui font la véracité de ces fieffés mensonges !
Alors pinaillons et précisons à cette amoureuse des lettres et du flou que le général Joseph du Ier siècle avant notre ère dont elle parle, auteur de LHistoire de la Guerre des Juifs, est en fait Flavius Joseph, auteur du Ier siècle après J.-C... Le romancier se doit aussi à un peu de documentation et est riche, ce que lauteur oublie de dire, dun luxe que beaucoup lui envieront : le temps, seule propédeutique à son uvre.
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 08/09/2004 ) Imprimer
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