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Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
| George Sand Histoire de ma vie Gallimard - Quarto 2004 / 25 € - 163.75 ffr. / 1670 pages ISBN : 2-07-072884-6 FORMAT : 14x21 cm Imprimer
Cest une silhouette de la littérature, un de ces écrivains que lon connaît forcément et quon a parfois même lus. DAurore Dupin, dite George Sand, la mémoire populaire na conservé que peu de choses : un parfum de scandale du fait de ses liaisons et de ses attitudes «dhomme de lettres», quelques contes champêtres, des interrogations religieuses qui reflètent une époque et un républicanisme lyrique. George Sand semble parfois plus un personnage de roman audacieuse, passionnée quune grande plume de son temps. Et pourtant, Histoire de ma vie, rédigée au milieu dune existence agitée, fiévreuse, révèle un personnage plus complexe. Comparable aux Mémoires doutre-tombe ou aux Confessions, cet ouvrage méritait une redécouverte, presque une exhumation : cest désormais chose faite et il faut saluer le travail de Martine Reid, en charge de cette édition.
Vastes, ces mémoires embrassent plus quune existence, presque une fresque familiale : la vie de George Sand commence par celle de ses ancêtres, par le tableau historique et intellectuel dune famille parmi les plus ornées. On y croise le maréchal de Saxe, mais cest surtout le père, Maurice Dupin, qui savère marquant, en jeune officier de lempire, mort trop tôt, à 30 ans. Les conséquences de cette disparition seront considérables pour la toute jeune Aurore Dupin : issue dun mariage damour entre un aristocrate et une femme du peuple (le symbolisme la frappera), elle est revendiquée par une grand-mère paternelle qui voit en elle son fils disparu, et plus ou moins laissée par une mère qui choisit la vie parisienne. Le contexte familial, pesant, la marquera longtemps. Cela explique sans doute la place quelle lui accorde dans ces confessions qui nen portent pas le nom.
Reste la question principale : comment devenir, comment être George Sand, et pourquoi ? Est-ce pour échapper au spleen, cette neurasthénie qui est le mal du siècle et qui frappe la jeune Aurore comme nombre de ses contemporains ? Est-ce pour exister dans un monde et une époque qui lui dénient certaines capacités, certains droits, voire une quelconque intelligence ? Est-ce pour ne pas être que la baronne Dudevant, mais également «une sorte dhomme de lettres» et vivre une vie de bohème avant lheure ? Histoire de ma vie aborde ces questions et bien dautres, mais sait également se taire sur certaines «affaires» - Liszt, Chopin, Musset parce que lépoque ne lui reconnaît pas la liberté quelle revendique. Ainsi, louvrage est à la fois à la dimension dun siècle, le XIXe siècle, dont il suit les contours (et les historiens y trouveront largement de quoi moudre leur grain), mais il en épouse également quelques conventions et de nombreuses interrogations, en particulier religieuses (pour une croyante passée du catholicisme le plus fervent jusquau désir du cloître à un certain libéralisme religieux). Le siècle de la déchristianisation et de la religion romantique trouve ici lune de ses interprètes.
Comme le souligne Martine Reid dans une préface essentielle à cette nouvelle édition, il sagit là dune publication importante, tout dabord parce que complète : ce texte, moins connu (voire plus confidentiel) de George Sand navait quasiment jamais été réédité intégralement depuis 1876. Un document de cette qualité attendait probablement un éditeur motivé et une collection à la hauteur du texte. Avec la collection Quarto, qui nen est pas à son coup dessai en ce domaine, il sagit une fois de plus dune publication qui fait date, tant pour les amateurs dhistoire du premier XIXe, que pour les lecteurs de la dame de Nohant. Le style a la richesse du siècle, ainsi que ses lyrismes, naturels pour une admiratrice de Victor Hugo : il sagit dune lecture aussi plaisante quimpressionnante. Doté en annexe dun appareil biographique ample et de nombreuses illustrations, louvrage apporte une nouvelle pierre, et quelle pierre, à la connaissance dun auteur et dun siècle plus profonds et plus denses quon ne veut bien le croire. Plus quun classique, une nécessité littéraire.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 06/09/2004 ) Imprimer
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