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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

La voix vivante du poète
Octavio Paz   De vive voix - Entretiens - (1955-1996)
Gallimard - Arcades 2008 /  24 € - 157.2 ffr. / 566 pages
ISBN : 978-2-07-078623-7
FORMAT : 12,5cm x 19cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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"La solitude est le fond ultime de la condition humaine. L'homme est l'unique être qui se sente seul et qui cherche l'autre", écrivait Octavio Paz dans Le Labyrinthe de la solitude. Né à Mexico en 1914, Octavio Paz est considéré comme le plus grand poète d'Amérique latine et un essayiste hors pair de la littérature. Ambassadeur du Mexique en Inde pendant de longues années, il n'a cessé de confronter la conception occidentale de la création à celle de l'Orient. Il a dirigé Vuelta, importante revue d'Amérique latine, et a aussi donné des conférences dans diverses universités d'Europe et d'Amérique. Octavio Paz a reçu le prix Cervantès en 1981 et le prix Nobel de littérature en 1990. Il est décédé à Mexico en avril 1998.

On lui doit des livres somptueux comme Le Labyrinthe de la solitude (1950), Pierre de soleil (Gallimard, 1962), L'Arc et la lyre (Gallimard, 1965), Rire et pénitence (Gallimard, 1983), Liberté sur parole (Gallimard, 1971) ou encore La Flamme double (Gallimard, 1994). Mario Vargas Llosa dira de lui : «Je crois qu'avec Octavio Paz disparaît une des plus grandes figures de la culture contemporaine. En tant que poète, essayiste, penseur et conscience civique, il a laissé une trace profonde chez des admirateurs et des adversaires émus par ses idées, ses images esthétiques, et les valeurs qu'il défendait avec intelligence et passion..." On a comparé son influence à celles de Juan Ramón Jiménez, Vicente Huidobro, César Vallejo, Borges ou Pablo Neruda.

A la lecture de ces entretiens, on est ébloui par la richesse, la culture, l'humanité et la profondeur de l'homme, véritablement cultivé. On se demande ce qu'il n'a pas lu tellement les poètes qu'il cite laissent pantois et admiratif devant un tel savoir, un savoir toujours étayé et jamais de façade, et une grande spiritualité humaine. Voilà quelque chose d'infiniment rassurant et grand. Il a ainsi abordé dans son oeuvre importante la critique littéraire, la biographie, l'étude anthropologique, l'essai historique, la traduction, la critique d'art, l'étude sociale, le théâtre, la poésie, la politique, etc.

Dans ces 27 entretiens, Octavio Paz aborde l'homme sous toutes les coutures et toutes les cultures. Il y a de quoi exciter grandement la curiosité du lecteur. Une somme. Il revient donc sur un peu plus de quarante années de vie (1955-1996) et un grand nombre de sujets. Il aborde notamment l'art et la poésie, revient sur l'incomplétude de l'homme, les illusions dévastatrices du progrès, ne cesse de montrer que l'amour et l'amitié rompent le solipsisme de l'individu contemporain. Cet amour si peu naturel et si humain, produit de l'imagination sociale, transgression et socialisation de la sexualité animale. "L'amour est la relation passionnelle entre deux personnes, et non point entre deux corps", écrit-il simplement.

Octavio Paz associe l'idée de poésie à celle de la connaissance, inséparables pour lui sinon tout tombe dans l'insignifiance. Connaissance de l'autre, car c'est cet autre qui nous constitue (comme dans l'amour) et voilà sans doute pourquoi dans l'histoire, cet autre est insupportable, intolérable, car l'homme aimerait s'autofonder. Or, l'homme est bien cet être incomplet et seul qui a besoin de l'autre. Et l'Homme moderne ne sait pas vivre seul, pense Octavio Paz (comme Pascal le disait en son temps) : "Celui qui sait vraiment être seul est celui qui peut vraiment vivre en compagnie» (p.260). C'est sans doute cette méfiance qui a écarté Octavio Paz des mouvements politiques et de l'engagement partisan. Au fur et à mesure des années, le poète se montre féroce envers le progressisme ("Il est inutile de démontrer que l'idée de progrès est une superstition moderne : il suffit de mentionner l'existence de la bombe atomique." - p.39) et très critique envers les engagements politiques : "La révolution est la révolte transformée en théorie et en système" (p.151).

Il s'agit pour Octavio Paz de comprendre intimement le sens des choses. Quand il analyse précisément l'engagement politique qui lui a coûté son amitié avec le poète Pablo Neruda, il saisit le phénomène pour en débusquer l'aveuglement : «Ce qu'il y a de nouveau en Occident, c'est l'idée de révolution. Dans son acception moderne, l'idée naît au XVIIe siècle. Elle fait se rejoindre deux traditions distinctes. L'une est d'origine intellectuelle et est minoritaire : c'est l'utopie. L'autre est populaire et étrangère aux spéculations philosophiques, quoique apparentée au millénarisme, au messianisme et autres courants religieux : c'est la révolte. La philosophie moderne a injecté dans l'ancienne révolte la géométrie rationnelle de l'utopie, et l'a ainsi transformée en système idéologique. Le révolutionnaire est, avant tout, un théoricien, un homme de système ; en même temps, fidèle à la tradition religieuse de la révolte — le millénarisme, le Grand Changement —, c'est un croyant. La fusion de la croyance et du système produit le militant, le guerrier de l'idée. Deux figures sont réunies dans le militant : le prêtre et le soldat. L'archétype révolutionnaire est double : l'Église et l'Armée» (pp.152-153). Limpide !

La réflexion critique d'Octavio Paz est toujours accompagnée d'une défense de la culture et de la poésie, deux preuves de la haute idée qu'il se fait de l'homme. Sur ce point, des pages somptueuses sont consacrées à la défense et à l'éloge de la poésie et l'on découvre un nombre considérable de poètes connus ou inconnus : Machado, Alberti, Borges, T.S. Eliot (The waste land), Neruda, Mariano Azuela, Martin Luis Guzman, Lisez Rulfo, Garcia Ponce, Sabines, Segovia, Bonifaz Nuno, Montes de Oca, etc. La culture de Paz est impressionnante, étourdissante tellement il sait relier les mots à la chair, la littérature à la complexité et à l’émerveillement de l'existence.

Sans doute aussi, au fil des années, Octavio Paz est-il déçu par la tournure que prend la société contemporaine, froide, technicienne et sans âme, et par la voix techniciste que suit également l'art : "Lorsque je suis revenu en France après 1950, un nouveau changement culturel était intervenu, pas seulement en France, d'ailleurs, mais partout dans le monde : la prise du pouvoir par les professeurs et la prééminence des critiques sur les créateurs. Les théoriciens sont parvenus à expulser les poètes et les romanciers. Je pense que la révolution culturelle dont vous avez parlé au début ne peut pas être complète si, en plus de la rectification idéologique, il n'y a pas un retour à l'imagination. Il faut rendre à l'imagination la fonction que les professeurs et les théoriciens lui ont usurpée" (p.221).

Un livre d'entretiens admirable, à lire d'urgence pour découvrir l'homme dans toute sa spiritualité et sa plénitude.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 03/09/2008 )
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