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Le ''non-mort'' est de retour
Bram Stoker   Dracula et autres chefs-d'oeuvre
Omnibus 2010 /  26 € - 170.3 ffr. / 1408 pages
ISBN : 978-2-258-08324-0

Édition établie par Alain Pozzuoli et Jean-Pierre-Krémer
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«Bela Lugosi is dead», proclamait le groupe Bauhaus au tournant des années 80, à grand renfort de guitare basse et de voix caverneuse. Si les acteurs passent, les mythes restent quant à eux bien vivants. Celui de Dracula est intact, un peu plus de cent ans après sa consécration sous la plume de Bram Stoker (1847-1912).

Est-il encore envisageable de frissonner, en cette aube de XXIe siècle, à l’évocation des nocturnes transylvaniens, des canines proéminentes du comte suceur de sang et des «non-morts» que sa fatale morsure – de préférence à la carotide – engendre ? Oui, à condition toutefois de se refaire une virginité en se débarrassant de tous les cartons-pâtes hollywoodiens, des avatars et des parodies associés à cette figure depuis les balbutiements du cinéma. Il s’agit, si l’on veut en goûter toute la moelle, d’envisager cette œuvre datant de 1898 dans sa déroutante modernité. En effet, Dracula repose entièrement sur l’assemblage de journaux intimes, lettres, rapports d’expériences et articles de presse, tous apocryphes. Cette narratologie composite multiplie les points de vue sur un même déroulement chronologique, conférant à l’ensemble sa dynamique. Au regard des experts scientifiques (parmi lesquels l’Amstellodamois Van Helsing laisse un souvenir émerveillé) succède celui des victimes anciennes ou futures, puis enfin celui du très inquiétant Renfield. La logique retorse qui hante l’esprit de ce dernier – doublement aliéné en ce qu’il est considéré comme fou et qu’il est, à distance, l’esclave du Voïvode – fait l’objet d’observations cliniques dignes des meilleurs scénarios psychopathiques contemporains.

Lorsqu’il achève ce livre, Stoker a derrière lui sa brillante carrière d’animateur de la vie théâtrale, menée de front avec son mentor Henry Irving et la troupe prestigieuse du Lyceum. Le romancier se lance dans un titanesque travail de recherche, qui lui garantira sa fiabilité documentaire, pour décrire le cadre et les atmosphères de régions où il ne s’est jamais rendu ! Titre-pivot dans une production de romans plus ramassés, de contes et de nouvelles, Dracula articule des peurs ancestrales et refoulées aux angoisses d’une époque (les missives charcutières de Jack l’Éventreur sont dans toutes les mémoires). Autres entrechats permanents : ceux du ballet infernal que jouent la superstition, la religion et la science. Selon des configurations inattendues et toujours à réévaluer, l’une s’allie avec la seconde contre la troisième de ces commères. Éphémère coalition, car ces «valeurs» finissent par se déprendre et continuent sur des voies contiguës mais distinctes leur trajet à travers les mentalités. Stoker aurait-il appris à jongler avec l’hermétisme, la transcendance et le scientisme en fréquentant les cénacles d’une secte dérivée de la Rose-Croix ? Il ne faut négliger aucune influence souterraine concernant un imaginaire qui est loin d’avoir livré ses ultimes secrets.

Un dernier mot à propos de cette réédition et de la qualité de sa traduction. Omnibus a choisi de reprendre celle de Jacques Finné, parue en 1979. Belle façon de souffler les bougies des trois décennies de cette entreprise. Finné a su conserver à chaque personnage la densité de sa «version originale» en lui restituant, en français, son langage propre. Aussi le Docteur Seward est-il cérébral à souhait et Mina, d’une exquise sensibilité amoureuse ; il émane de Van Helsing la sagesse des érudits à qui on ne la fait pas ; des embruns naturels roulent dans les gorges des mariniers et Renfield est un délire incarné. C’est un véritable tour de force que d’avoir pu glisser avec tant de fluidité entre les registres linguistiques et émotionnels ; le motif de la résurrection, omniprésent dans ce texte, trouve dans cette subtile polyphonie un étonnante amplification.

Le volume contient en outre de nombreuses illustrations du talent de Stoker : près de trente nouvelles et l’essentiel de ses récits longs, jusqu’au Repaire du ver blanc, publié un an avant sa mort. Une introduction détaillée et l’adjonction de témoignages importants (une correspondance avec Walt Whitman) permettent de découvrir la personnalité méconnue de cet authentique Dublinois des Carpates. Et même si l’ouvrage est un tantinet plus encombrant qu’un format poche, installez-vous au lit plutôt que dans votre fauteuil pour vous y plonger. Car Dracula, ça se lit au pieu.


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 06/01/2010 )
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