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La Fontaine aux States
Jean de La Fontaine   Christopher Carsten   25 Fables de La Fontaine - Edition bilingue illustrée
Editions Tituli 2015 /  21 € - 137.55 ffr. / 230 pages
ISBN : 978-2373650136
FORMAT : 14,0 cm × 21,0 cm

Préface de Sir Michael Edwards de l’Académie Française
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De 1668 à 1694, Jean de La Fontaine fit paraître trois recueils de fables dédiés successivement au Dauphin, à Madame de Montespan puis au Duc de Bourgogne. Quelques mois après la publication du troisième volume, le poète mourut laissant à la France un des monuments littéraires du Grand Siècle et ce qu’on devait nommer bientôt un des classiques de notre littérature. Rousseau, voyant dans ces fables (comme dans les comédies de Molière) une justification de l’immoralité, critiquait l’habitude déjà prise en son siècle de les donner à lire aux enfants et de les leur faire apprendre, alors qu’ils ne pouvaient pas encore les comprendre. Passant outre, la postérité a plutôt retenu la grâce d’expression, la vivacité du style et l’esprit de l’auteur, y voyant une école de sagesse et une illustration merveilleuse de la langue. Ces fables animalières très anthropomorphiques n’étaient-elles pas merveilleusement pédagogiques et susceptibles d’intéresser les enfants ? La Fontaine lui-même n’avait-il pas offert ses fables au jeune dauphin ? Taine, qui voyait en lui le génie gaulois fait poète, appelait La Fontaine le «Homère français» et relevait justement la fonction pédagogique des fables dans la formation des jeunes Français : «Nos enfants l’apprennent par cœur, comme jadis ceux d’Athènes récitaient Homère ; ils n’entendent pas tout, ni jusqu’au fond, mais saisissent l’intérêt ; ce sont (pour eux) de petits contes d’enfants (…)».

Malgré son charme «naïf», La Fontaine, cependant, comme Homère, intéresse aussi les adultes, ces grands enfants que nous sommes. Et l'on a trop souvent consacré le poète aux «lardons». Abusivement, car comme le montrent les dédicaces suivantes, La Fontaine parlait aussi à l’honnête Homme, défenseur de sa langue et soucieux de vérité morale. En d’autres mots, il y a des niveaux de lecture. Le poète-académicien lui-même disait qu’il parlait des hommes en faisant parler ses animaux. Ce que Christopher Carsten rappelle avec esprit : «Tant de gens ! Tant de bêtes ! Et vous, laquelle êtes-vous ?». Avec son réalisme tout d’équilibre et de prudence, non dénué d’ailleurs de quelque sentiment du tragique, il se range sûrement parmi ceux que Paul Bénichou appelait les moralistes du Grand Siècle. Mais la spécificité de La Fontaine, c’est le refus de la pose et la gaieté enjouée où Taine, encore, voyait l’esprit français. La finesse de langue et d’esprit qui fait passer avec le sourire les leçons les plus cruelles.

C’est un des mérites de Christopher Carsten en nous offrant cette édition bilingue de nous rappeler la beauté et la profondeur de l’œuvre. On y retrouve tant de vers entrés dans le langage courant sans qu’on se souvienne toujours de leur inventeur ! Ainsi de ce chien qui lâche la proie pour l’ombre ! Une piqûre de rappel qui nous donne envie d’aller au-delà des 25 fables traduites. S’attaquant (pacifiquement et amoureusement) à ce monument, Christopher Carsten n’a pas choisi la facilité, mais il a eu l’audace d’une noble entreprise, où il eut un devancier célèbre, Mandeville, auteur de la fameuse «fable des abeilles». Comme le note Sir Michael Edwards (de l’Académie française), il est probable que s’il en avait réalisé la traduction, le poète Andrew Marvell aurait mieux rendu la finesse des fables de son contemporain français, en raison de certaines affinités d’esprit entre eux. Mais la particularité de Christopher Carsten, c’est qu’il américanise avec bonheur notre poète national sans en trahir l’esprit. Une gageüre que salue Michael Edwards.

Des 243 fables, il en retient 25, pas toutes également célèbres. Le lecteur a sous les yeux l’original et une traduction «naturelle», toujours fidèle à l’histoire contée et à l’esprit, et pleines de trouvailles amusantes. Un échantillon en donnera une idée : La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf devient simplement «Frog and Ox» ; le bœuf «de belle taille» est traduit «as massive as he was robust», mais lisons plutôt la morale qui transpose avec humour la folie des grandeurs du grand Siècle en mégalomanie des élites démocratiques contemporaines:

«Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs
Tout petit prince a des ambassadeurs
Tout marquis veut avoir des pages»

«Folks today show symptoms of her flaw:
Like Pharaoh this one bids
The raising of glass pyramids
For every senator “L’Etat c’est moi”,
And all those tiny governors, though dopes,
Nurse presidential hopes”


On remarquera l’élégance de cette strophe finale et comme ces vers magnifiques sur la folie des grandeurs disent leur vérité tout en finesse, passant symboliquement et par degrés des alexandrins au décasyllabe puis à l’octosyllabe. Chacun aura reconnu le pharaon moderne constructeur de pyramides de verre ! Savoureuse et inattendue cette rime franco-américaine qui met dans l’esprit du US Congressman le royal propos (apocryphe) de Louis ''the Fourteenth'' : lecture urgente en ces temps de primaires présidentielles aux Etats-Unis!

Mais qu’on ne se croie pas moins concerné Outre-Manche : Carsten ose mettre dans la gueule d’un chat une formule tout aussi célèbre chez les Britanniques, attribuée cette fois à Queen Victoria ! Ces pirouettes «trans-culturelles», très réussies, ne contribuent pas peu au charme de la traduction. Car il n’y a pas d’anachronisme quand il s’agit de types éternels ! Brillamment trouvées, ces analogies actualisent La Fontaine et reprennent ce tour d’esprit qu’il avait de transposer librement les fables antiques pour les animer dans la langue de son temps.

La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf emporte naturellement les suffrages en français et dans sa traduction. Mais notons une autre fable moins connue et pourtant remarquable, comme sa traduction très réussie : Le Fermier, le chien et le renard. En vers héroïco-comiques, parodiant ceux épiques de L’Iliade, La Fontaine peint le drame éternel du bouc-émissaire dans le cadre d’une banale ferme.

Nul doute que cette nouvelle version des fables fera date dans le monde anglo-saxon où on n’a pas assez rendu justice au grand fabuliste français. On souhaite au public anglophone que Christopher Carsten donne une suite à cet échantillon convaincant et on croit savoir que notre traducteur est déjà en train. Outre le texte de Carsten, le lecteur pourra lire, toujours en bilingue, la préface d’un académicien franco-anglais d’aujourd’hui et la postface d’un ethnobotaniste. A noter aussi : les illustrations de Sophie de Garam qui s’éloignent de l’habitude des représentations animalières. Ce compte rendu ne serait pas complet si l'on omettait de mentionner le poète américain Edgar Bowers (1924-2000), ce grand francophile, qui fut et reste le maître de Christopher Carsten et «sans qui, probablement, ces vers n’auraient pas été aussi justes».


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 19/10/2015 )
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