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A la rencontre de l'amour
David Herbert Lawrence   La Fille perdue
Fayard - Litterature Etranger 2007 /  23 € - 150.65 ffr. / 410 pages
ISBN : 978-2-213-63139-4
FORMAT : 15,5cm x 23,5cm

Taduction de Françoise Du Sorbier.

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman(Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Le thème de La Fille perdue, sixième roman de D. H. Lawrence, paru en 1920, annonce celui de L'Amant de Lady Chatterley (1928). Ce roman, comme on le sait, narre l'histoire d'une femme de la noblesse, délaissée par son mari infirme, qui trouve l'épanouissement dans sa liaison avec le garde-chasse de son époux. Le cadre est similaire même si la ville diffère ici : Woodhouse, ville minière des Midlands, au centre de l'Angleterre dans les années 1910-1920. "Un saupoudrage de commerçants mêlés à de petits patrons, et, pour y apporter quelque diversité, des maîtres d'école et un clergé non conformiste ; au-dessus, une couche de directeurs de banque, de riches patrons d'usines textiles, de métallurgistes prospères, de membres du clergé épiscopalien et de directeurs des charbonnages ; le tout couronné par la riche cerise confite et luisante du propriétaire des mines".

Et l'auteur connaît bien le milieu. Né en 1885 à Eastwood, dans le Nottinghamshire, il est le fils d'un mineur et d'une ancienne institutrice. Lorsqu'il a terminé ses études à l'université de Nottingham, il débute sa carrière littéraire en publiant ses premiers poèmes dans le magazine The English Review puis en faisant paraître, en 1911, son premier roman, Le Paon blanc. En 1912, Lawrence quitte l'Angleterre avec Frieda Weekley, une aristocrate allemande, épouse de l'un de ses anciens professeurs et sœur de l'aviateur Freiherr Manfred von Richthofen. Lorsqu'elle obtient le divorce, deux ans plus tard, ils se marient et mènent une vie nomade. Le roman Amants et Fils(1913), évoque la vie dans une ville minière. L'Arc-en-ciel (1915), premier ouvrage censuré pour cause d'obscénité, et Femmes amoureuses (1921) développent l'un et l'autre les relations entre hommes et femmes. C'est également lors d'un séjour en Italie que Lawrence écrit Crépuscule sur l'Italie(1916) et La Fille perdue(1920).

Comme tous les grands romanciers, Lawrence pose un regard concret sur les faits et établit des questions simples : pourquoi y'a-t-il autant de vieilles filles en ce temps et dans telle ou telle ville ? La question peut paraître saugrenue. Elle ne l'est pas. Lawrence met en scène le capitalisme de cette époque, un capitalisme centré sur la personne de l'entrepreneur et sur la description des valeurs bourgeoises. Avec l'accent mis sur le jeu, la spéculation, le risque. Apparaissent avec cette figure du bourgeois, les éléments de sécurité habituels (caractère patriarcal des relations avec les employés, avarice, esprit d'épargne, tendance à la rationalisation de tous les aspects de la vie, développement de la comptabilité, du calcul) allant de pair avec les dispositions traditionnelles concernant l’importance de la famille, de la lignée, du patrimoine et... de la chasteté des filles pour éviter mésalliances et dilapidation du capital.

Le roman de Lawrence s'inscrit dans un univers pudibond et névrosé. Méticuleusement, l'auteur installe la figure de l'entrepreneur obsédé par ses affaires, en la personne de James Houghton, le "scarabée énervé". Avec sa femme malade, épousée par dépit, et sa fille unique Alvina, élevée par Miss Frost, la gouvernante. Rapidement la mère meurt. Suivie de peu par Miss Frost. Alvina se retrouve avec une autre gouvernante, Miss Pinnegar, plutôt boulotte et grisâtre. Elle apprend le métier d’infirmière. Mais rien n’arrive. Et les années passent. Alvina a bientôt trente ans. Elle s'étiole et dépérit tandis que son père ne cesse de monter des affaires. Notamment un cinéma, L'Entreprise,qui propose non seulement des films mais aussi des numéros... Fort heureusement, Alvina va parvenir à se singulariser et à échapper au conformisme ambiant, en renonçant aux séductions irrésistibles de son époque. "Quel que soit le destin de la mère, celui de la fille sera différent. C'est organiquement inévitable. La fille doit affronter son propre destin et non celui de sa mère."

Lawrence établit de fines correspondances entre les êtres et les choses. Alvina réplique ainsi au régisseur de L'Entreprise, M. May, à propos du cinéma qui enferme les gens dans une image narcissique d'eux-mêmes : «Vous aimez ce qui est différent de vous. Pas eux. Ils n'aiment pas ce qu'ils ne peuvent pas ramener à eux. Ils détestent tout ce qui n'est pas eux. C'est pour ça qu'ils aiment le cinéma. Ils peuvent se voir en permanence». Les habitants de la ville, pauvres ou riches d'ailleurs, selon elle, peuvent se projeter dans un film mais pas sur un artiste en chair et en os.

Il est donc normal que ce soit de l'extérieur que l'amour arrive pour "sauver" l'héroïne, plus précisément des saltimbanques, une troupe venue faire son numéro à L'Entreprise: Natcha-Kee-Tawara. Alvina sera donc une "déclassée" comme l'écrit Lawrence, et l'assumera. L'amour n'est pas recherche d'un double, d'un clone de soi-même à travers l'autre (négation pure et simple de l'altérité) mais reconnaissance et acceptation de la personne aimée, «pari, extravagant, sur la liberté. Non pas la mienne, celle de l'autre», écrit Octavio Paz dans La Flamme double. Car si l'être dont on est épris est irremplaçable, extrait de la multitude par le regard amoureux, il ne s'agit pas non plus de le fantasmer mais de laisser advenir sa pure présence, sa pure réalité concrète, étrangère à nous-mêmes, sans quoi un grand danger guette : cette incroyable capacité humaine à remodeler le réel à l'image de son idéal. Alvina ira donc dans les bras d'un italien, Ciccio, tellement opposé à la jeune anglaise. Audace de l'audace, c'est le jour même où James Houghton meurt, qu’Alvina et Ciccio s'embrassent pour la première fois. Le père meurt, vive l'amant ! «Le lendemain était un dimanche. L'enterrement aurait lieu l'après-midi. En pensant à Ciccio, Alvina sentit une brûlure l'envahir. Elle tressaillit, mais elle avait envie qu'il vienne. Elle en mourait d'envie»... Alvina va donc trouver sa voie, sa singulière voie, l'amour avec son amant. N'en disons pas plus.

Contrairement à ce que l'on dit bien souvent, D. H. Lawrence ne prône pas une sexualité sans tabou. Si son plus célèbre roman, L'Amant de Lady Chatterley, choqua la société de son temps, c'était simplement parce que son héroïne trouvait l'amour en dehors du mariage. D'ailleurs, les temps ont-ils vraiment changé ?... Comme quoi un grand roman nous renseigne toujours en interrogeant non seulement son époque et mais aussi celle du lecteur, à tout moment...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 27/06/2007 )
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