| Marie Ndiaye Les Serpents Les éditions de Minuit 2004 / 6.50 € - 42.58 ffr. / 96 pages ISBN : 2.7073.1856.6 Imprimer
Dès labord, lhumour est le protagoniste qui se présente sur scène. Ainsi le dialogue qui sétablit entre Madame Diss et lune de ses deux belles-filles, France, a la saveur piquante de certains plats exotiques. Des répliques, au ton moliéresque, sont proches de la maxime : «On peut prêter à plus riche que soi. Ce nest pas absurde, ce nest pas discutable.». Avec, au cur de cet humour, une chaude poésie, une inquiétude latente.
Et voilà. Lorsquintervient la seconde belle-fille, Nancy, latmosphère se fait vindicative, mesquine, agressive. Des aigreurs remontent à la surface ; des acidités viennent agacer la langue ; lhumeur nest plus aqueuse mais vinaigrée. Tout devient négociable, même les souvenirs. Et les femmes se lancent à la face daffreuses douleurs anciennes.
Théâtre de la cruauté. Où lon apprend quun enfant sest fait tuer sciemment par des vipères mais les vipères, les vraies, nont-elles pas forme humaine ? Où lon sait que la haine est un moteur de lexistence, une raison de tenir tant bien que mal. Où les mots sont aiguisés comme des rasoirs pour trancher dans le vif de la conversation. Où lanimalité paraît noble et lhumanité, sordide. Théâtre de la grimace, du double, du masque, de la quintessence des eaux troubles. Les jalousies, les ratages, les frustrations, mais aussi : les peurs quasi ancestrales ; la nécessité vitale dêtre rassurée, dêtre serrée contre des mots qui ont larrondi des paumes, des joues et des seins.
Cest bien la fragilité de lêtre qui est en jeu, ici ; cette fragilité qui a permis le doute ; ce doute qui a fait naître linterrogation et les réponses possibles. Sur scène, trois femmes dans leur nudité verbale. Hors champ, un homme, qui nexiste que par le refus, le déni, labsence, le retrait, lenfermement ; et par les mots des femmes. Quel combat, perdu davance, sengage-t-il entre ces balles lancées à toute volée et ce mur sur lequel, impuissantes, elles rebondissent ? Entre ces femmes qui tentent de rebondir et cet homme qui sest emmuré ? Quel est ce jeu de paume qui consiste à se renvoyer les gifles distribuées par la vie ?
La pièce de Marie NDiaye, servie par un verbe haut en couleur, ciselé comme la glace par les gestes du vent, cette pièce vaut de lor pour peu quelle soit montée, chaude et pleine, comme une étoile. Comme un soleil.
Daniel Leduc ( Mis en ligne le 27/02/2004 ) Imprimer | | |