| Denis Johnson Déjà mort 10/18 - Domaine étranger 2003 / 10 € - 65.5 ffr. / 608 pages ISBN : 2-264-03291-X FORMAT : 11x18 cm
Already dead (1997), publié une première fois en France en 2000 (Christian Bourgois).
Traduit de l'américain par Brice Matthieussent. Imprimer
Denis Johnson est un sombre romancier/poète dont les uvres, fameuses outre-Atlantique, commencent à faire parler delles chez nous : Un pendu ressuscité (C. Bourgois, 2004), Des anges (C. Bourgois, 2003) et surtout Jesus Son (10/18, 1998). Déjà mort, publié récemment au format poche, est, comme ceux-là, un roman dense, riche, dun pullulement parfois indigeste, irracontable mais valant le détour.
On peut lapprocher par des chemins détournés, en évoquant les influences manifestes, sinon les uvres auxquelles il fait penser immanquablement. Etrange macédoine où les univers brumeux et humainement effrayants, mais fascinants aussi, à la David Lynch, sépaississent encore dun nihilisme nietzschéen et dune spiritualité bouddhisto-scientologique, le tout sous amphétamines, nembutal et chanvre cultivé avec amour
Quand Kerouac, la philosophie du Surhomme mâtinée du fantasme américain des petits hommes verts, la croyance en la métempsychose et les dettes karmiques, sinscrivent dans une obscure histoire de meurtre
Rien que ça !
Denis Johnson tient cette réputation décrire sous hallucinogènes ; il sen défend mais cultive le mythe
Déjà mort ressemble en effet à un mauvais trip littéraire, qui serait aussi une expérience existentielle ! Lauteur y dévoile une obsession profonde de la mort et de ses prolongements, ici-bas comme ailleurs
Dune lecture hallucinante quoi quil en soit, le roman semble samuser à perdre le lecteur, qui finira peut-être dubitatif face à lintrigue. Est-ce que ça tient seulement la route ?... Laissons-la pour nous attacher aux personnages, ces «rescapés de lacide» (p.347) pour qui «la route est une Eglise» : Carl van Ness, sorte dange déchu cherchant une nouvelle apothéose - «Van Ness se prenait pour un voyageur traversant léternité ; tout ce quil accomplissait afin de se détruire suicide, assassinat alimentait son voyage. Alors pourquoi pas ? Et à cette question brûlante : "Pourquoi tuer ?", "Pourquoi pas ?" constitue sans doute une réponse aussi valable que des kyrielles dautres.» (p.187) -, les frères Fairchild, la vénéneuse Wynona, Navarro, le flic placide à lesprit aussi embrumé que le Golden Gate Bridge, les moines bouddhistes ou Meadows, le surfeur fumeur dherbe quil refourgue au pasteur du coin
et bien dautres. On sy perd
Mais par-delà lhistoire et ses invraisemblances, des longueurs aussi, ce sont les ambiances qui méritent une lecture attentive. La côte Ouest, genre Big Sur, pas Malibu, voire plus au nord Point Arena -, semble insuffler à ses habitants cette brutalité sauvage visible dans un océan tout sauf pacifique, des falaises vertigineuses et ces forêts de séquoias gigantesques
«Beaucoup de gens se sentent envoyés sur la côte. [
] Les gens se sentent envoyés ici, mais la folie de la route. Ils arpentent indéfiniment cette côte» (p.300). Dans ce monde hostile, «la Terre robot zombie que nous habitons» (p.22), lauteur nous explique quil «faut pratiquer le bushido, la voie du guerrier, lart intime du samouraï, lart qui consiste à être déjà mort» (p.71)
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 19/03/2004 ) Imprimer | | |