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''Si c’est à toi que j’écris…'' | | | Stephen Chbosky Pas raccord Sarbacane - Exprim' 2008 / 10.50 € - 68.78 ffr. / 294 pages ISBN : 978-2-84865-205-4 FORMAT : 12,5cm x 19cm
Traduction de Blandine Longre. Imprimer
Charlie est un garçon solitaire et hypersensible que le sort na pas épargné. Constamment «à part», que ce soit au sein de sa famille (sauf avec sa tante Helen, la personne la plus chère à ses yeux) ou dans le milieu scolaire, il passe son temps à réfléchir sur lexistence, sur ses congénères, sur le monde dans lequel il sinscrit. Un drame notamment ne cesse de le tarauder : le suicide, plusieurs mois auparavant, de son condisciple Michael. Cette perte, ressentie avec une violence inouïe par Charlie, le laisse dans une cruelle incompréhension. Pour exorciser ses pensées, et tout simplement pour «parler» librement à quelquun, il se met, à la veille de son entrée au lycée, à rédiger des lettres adressées à un inconnu où il lui livre, à la manière dun journal intime, son quotidien, ses doutes, ses joies et ses peurs.
Car la plongée dans lunivers intransigeant, chaotique et ingrat de ladolescence ne se déroule pas sans heurts. En outre, Charlie, à quinze ans, ne parvient toujours pas à capter et à se conformer aux codes sociaux : il les appréhende dans un curieux mélange détonnement et dinaptitude, au travers du prisme de sa naïveté. Cette difficulté ne favorise en rien son intégration et lamène souvent à lincompréhension, voire à la blessure (de lui-même ou dautrui). Heureusement, pour le guider dans son apprentissage du réel, il y a Patrick et sa demi-sur, la belle Sam. Ces deux étudiants de terminale, rencontrés au hasard dun match de football, tombent en affection pour ce surprenant petit bonhomme quils vont prendre sous leur aile et inclure, peu à peu, dans leur groupe damis et le tourbillon de leur être.
Cest ainsi que Charlie commence à se frotter aux fêtes, à la musique, à la drogue, à la sexualité et à lhomosexualité (par lhistoire de Patrick), à lamour (dans les bras fantasmés de Sam et sur les lèvres de Mary Elizabeth) et, tant bien que mal, à la notion de «limite». En compagnie de ses protecteurs, il a parfois limpression grisante de flirter avec léternité, ce qui ne lempêche nullement de sombrer tout aussi radicalement dans un désespoir infini à dautres moments. Ces deux extrêmes ne font quun dans la vie de ce jeune vulnérable, qui lexprime avec authenticité dans sa missive inaugurale : «Bref, voilà ma vie. Il faut dabord que tu saches que je suis à la fois triste et heureux, et que jai toujours pas compris comment ça se fait». Parallèlement à ces chamboulements émotionnels, son professeur de littérature, Bill, labreuve de classiques (Peter Pan, LEtranger, Gatsby le Magnifique, Hamlet, etc.), autant de lectures exigeantes ayant pour intention de familiariser le prodige à sa singularité, de lui faire entendre quil est un individu exceptionnel, et non pas un «freak» comme daucuns se plaisent à lui répéter.
Lécriture de Charlie est spontanée et cabossée. À son image. Elle épouse les méandres de ses tourments et de ses enthousiasmes. Ce caractère pourrait dérouter dans les pages initiales mais, très vite, le témoignage de cette boule de sensibilité touche au cur et cette candeur maladroite se révèle gage de profondeur. Tout au long du récit, Charlie ne se départit jamais dune position dobservateur, qui le pousse à analyser et disséquer avec une certaine externalité ce qui lui arrive. Derrière ses mots sont esquissés, et non verbalisés, ses plaies, ses traumatismes, ses troubles psychologiques. Malgré le recours au «je», le sentiment dextranéité face à cette âme qui sémeut de tout est donc paradoxalement accentué.
Dans ce premier roman efficacement traduit par Blandine Longre, Stephen Chbosky dérange, convainc et déploie des qualités aussi rares que celles de son héros : la finesse, la pudeur et la justesse
Samia Hammami ( Mis en ligne le 16/09/2008 ) Imprimer | | |