| J.M.G. Le Clézio Ritournelle de la faim Gallimard - Folio 2010 / 18 € - 117.9 ffr. / 205 pages ISBN : 978-2-07-041701-8 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en octobre 2008 (Gallimard - Blanche)
Prix Nobel de littérature 2008. Imprimer
Un grand merci aux Suédois, qui, gardiens dun temple, éloignent les marchands, les mercenaires, les trop-modèles et autres Levy-Houellebecq dun auteur hors du temps parisien, et pour lequel l'histoire lentement seffiloche au gré des appartenances, des naissances, des accointances, des délivrances, et des infinis possibles dans lindéfini, dans ce qui, imperceptiblement, fait un homme dans sa dimension planétaire, philosophique et mystique.
Ce temps qui, intra muros, na ni odeur, ni saveur, ourdi de seules rumeurs, a un oxygène à trouver, ailleurs, dans le Désert ou dans une Ritournelle de la faim, un temps de retrouvailles et de réflexion, de pause paisible au vocable strictement ajusté, sans fioritures, économie écologique dun auteur près dun monde en devenir, épargnant son encre pour ne donner que du concentré, de lessentiel, du silence dans lequel le savoir-dire se love entre les lignes.
Agent double dhier et de demain, sans cesse sa plume navigue pour comprendre et prévenir, raconter et interroger sans ne jamais juger, plume scalpel qui dissèque avec une remarquable précision les tumeurs dune civilisation qui fonce à un certain désastre. Simple constat mélancolique «dun promeneur solitaire» ou rage toute en douceur dun auteur «passe muraille» ?
Lénigme Le Clézio, avec ce nouveau roman, reste entière ; de petites phrases musclées en longues errances narratives, le lecteur doit deviner le rythme, ladapter, ralentir et trouver son chemin, maîtriser sa nervosité pour accéder à la phrase, parabole non pas dun temps perdu, mais dun temps qui, en route, a perdu du contenu, de lessence, dune histoire qui vit dans loubli de ses métamorphoses.
La phrase musicale du Boléro de Ravel, cher à la mère de lauteur, suffit à se poser une seule question, en ressentir la violence et létourdissant silence final. La Ritournelle de la faim, cest un phrasé simple sur une vie affective que le hasard décline en épisodes historiques, culturels, tout un événementiel dans lequel passe, entre ces années trente et quarante-cinq, un quotidien déboussolé, une Histoire dont on ne comprend pas la marche dans des microcosmes au conservatisme non pas statique mais englué dans lamnésie du lendemain, ancrés dans un passé prospère : la princesse russe vit dans un sous-sol, loncle moribond ne verra pas le pavillon exotique, issu de ses fantasmes et de ses origines lointaines, réalisé ; le bois stocké a pourri, comme pourrit, en ces années, tout espoir.
Plus intime que jamais, plus sensoriel quintellectuel, la saga familiale de lauteur nous prend plus aux tripes quau cerveau ; et ça, cest un vrai scoop émotionnel. Lélégance rare, la mémoire active, le renseignement discret et lenseignement universaliste font de cet ouvrage une bulle doxygène dans un monde en apnée.
Raymonde Roman ( Mis en ligne le 21/04/2010 ) Imprimer | | |