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''Nous sommes natifs de nos ruines surgissantes''
Henry Bauchau   L'Enfant rieur
Actes Sud - Babel 2014 /  8.70 € - 56.99 ffr. / 336 pages
ISBN : 978-2-330-02852-7
FORMAT : 11,1 cm × 17,3 cm

Première publication en novembre 2011 (Actes Sud)
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Qui aime la prose d'Henry Bauchau aimera forcément retrouver Henry Bauchau dans cette prose-ci : le récit d'une enfance, de sa jeunesse, éclose, fragile, entre deux guerres, entre les incendies de la Grande et les tranchées de la Seconde.

"Nous sommes natifs de nos ruines surgissantes". Le récit d'une jeunesse où les pépites du bonheur luisaient en effet dans la boue et les cendres, enfance bercée par les histoires d'un papa, auxquelles Henry Bauchau dit devoir sa vocation, enfance nourrie de l'amour d'une famille soudée et large, entre Bruxelles, la campagne, l'école, les amis.

Le frère Olivier, en rupture avec le cadre familial, préférant la ruralité et les préceptes du catholicisme social aux attentes paternelles (les études, une carrière). Le père, icône dépeinte par un Bauchau en triste Pagnol de Wallonie, avec une poésie dense et douce, amour filial dit de peu de mots, avec une sincérité absolue. Et l'Histoire, touchée de près, la montée du nazisme, dont on se rit avant de crier, la crise, la marche vers une guerre, qu'on dit drôle pour commencer, puis la débâcle, à laquelle Henry soldat participe. Et les peines de cœur, les envies, les regrets.

Pas de quoi faire rire l'enfant éponyme, petit ange qui s'enfonce, tombe, dans les strates du temps, et que Bauchau exhume ici entre les lignes, superbement. Prolifique sans jamais diluer sa plume dans de mauvaises encres, Henry Bauchau, décédé en 2012, fait partie de ces écrivains qu'il faut aimer, voire chérir. Un écrivain monument, trésor, vestige, humble et puissant, d'une écriture complexe et subtile parce que simple. Le monde qu'il rapporte ici, son Atlantide européenne, est le nôtre et un autre, une Europe qui se reconnaît ici mais qu'on devine plutôt qu'on ne l'identifie franchement. A t-on perdu la mémoire ?...

Ce récit, qui est aussi roman car tout est réécriture et donc refonte en mots des poussières laissées par la mémoire, est un texte passage, entre le siècle dernier et le nôtre. Et il fera penser peut-être, par la densité et le recul qu'il offre en un temps qui en manque singulièrement (l'ogre présentiste est dévoreur du temps, machine à oubli, abatteur des dimensions et des nuances), à ce qu'Europe veut dire et ce que notre Europe doit être. Deux guerres mondiales, l'horreur des camps et des bombardements, vécus par cet enfant, ce jeune homme, ce vieillard, laissent songeur devant les problèmes d’arithmétique que notre union affronte actuellement... "Nous sommes natifs de nos ruines surgissantes".


Thomas Roman
( Mis en ligne le 02/05/2014 )
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