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Othello
Michiel Heyns   Un passé en noir et blanc
Seuil - Points 2014 /  7,4 € - 48.47 ffr. / 350 pages
ISBN : 978-2-7578-3891-4
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication française en mai 2013 (Philippe Rey)

Françoise Adelstain (Traducteur)

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Voilà un roman sud africain époustouflant ; sa lecture engendre des émotions et des réflexions existentielles, quasiment philosophiques que tout un chacun peut être amené à expérimenter, un jour. Certes, le narrateur s'empêtre dans une situation que l'on peut qualifier d'extrêmement délicate. Mais il ne savait pas où son choix le conduirait. Sinon, il est certain qu'il ne se serait pas engager dans un chemin aussi éreintant qui ébranlerait, et le mot est faible, son existence et toute la minutieuse construction de lui-même, faite de petits arrangements démagogiques mais tolérables. Un ensemble de douces compromissions qui ne sont que des opportunités saisies en plein vol dans une vie atone, quoique repue, pour se persuader que tout va bien. Ou que tout est en apparence cohérent et satisfaisant. Une certaine forme de passivité que l'on ne peut pas blâmer. Se connaître dans ses plus lointains retranchements n'est pas une chose aisée ; d'ailleurs l'occasion ne se présente pas toujours de plonger ainsi - et de couler à pic - dans les abîmes de son être. Et nombreux sont ceux qui déambulent dans leur vie sans s'approcher d'eux-mêmes. Ils n'en sont pas moins vivants. Mais sont-ils vraiment en vie ?...

Peter Jacobs est africain du sud et londonien depuis 1988. Il a immigré sur l'île anglaise, l'Angleterre, "en outre mer" comme il est coutume de le dire, avec un mépris assumé, dans ce fin fond de l'Afrique si lointain et si marquée par la discrimination dans son histoire récente. Peter est blanc, à moitié juif, et ses parents sont aisés. Un milieu de la petite bourgeoisie qui, dans le cas de notre narrateur, lui permet un début de vie confortable dans tous les sens du terme. Nous sommes, dès le début du roman, en 2010, en janvier, au cœur de l'été brûlant. Et Peter décide de revenir dans son pays 22 ans après son exil. Sa motivation n'est que professionnelle. Peter est âgé à présent de 40 ans, il est journaliste indépendant, reconnu dans sa profession, et il est venu pour élaborer un article ou plutôt une ''histoire'', comme il peut le préciser à maintes reprises.

Il est donc, là, dans le seul hôtel de la bourgade qui l'a vu naître, Alfredville, terreau de sa jeunesse. Balbutiements joyeux de sa vie. D'ailleurs cet hôtel, le ''Queen's Hotel'', décrit avec un délice de sarcasme dès les premières lignes du roman, est tenu par un lointain copain de collège, Joachim Ferreira, surnommé, à l'époque "Ferreira la tapette" . Et il est effectivement homosexuel, tout comme Peter. Ce dernier a quitté un Londres glacial, le cœur lourd. Son petit ami James, d'origine jamaïquaine, vient de rompre parce que Peter manquait lourdement de ferveur dans ses sentiments. Et dans sa vie tout court. Peter est pourtant conscient de sa frilosité à s'exprimer et à assumer. Mais il n'arrive pas à faire autrement. Ou l'effort lui coûte trop. Alfredville et ses habitants, ombres vivaces de son passé, vont l'écharper et le mettre au pied du mur de ses contradictions. Il n'est pas désagréable Peter, bien au contraire, mais il semble être de ceux qui préfèrent fuir leurs envies surtout quand elles sont d'ordre affectif. Il va être royalement servi...

Désirée, sa cousine germaine, a été assassinée. Là est la motivation du retour de Peter. Ce n'est pas l'émotion débordante de la perte d'une cousine qui le pousse à changer d'hémisphère ; c'est une question bien plus universelle que le chagrin intime. Peter veut prendre le pouls de son pays dans la gestion des relations interraciales post-Apartheid. Désirée était blanche. Son mari est noir et, qui plus est, le chef de la police locale, et un "salaud" tant son arrivée à la tête de la police a réveillé les venins du passé. Et, tout le monde le pense dans cette bourgade qui n'a guère changé, il serait l'assassin bestial de Désirée. Toutes les preuves concordent. Voilà un appétissant fait divers pour faire le point sur l'Afrique du Sud du 21ème siècle. Et tel est le propos de l'auteur et son point de départ. Peter, à travers une question éminemment globale, va explorer son propre mal être. L'histoire intime et l'histoire collective sont souvent intrinsèquement liées dans ce pays où la chaleur épuise.

On n'en dira pas plus des aventures de Peter. Michiel Heyns nous emporte dans une succession de rebondissements délicats et pourtant terribles. Un roman d'une force détonante tant l'auteur maîtrise l'art de pointer du doigt les affabulations d'une société post-Apartheid se gargarisant d'être tolérante. Quelques poignées de mains et un changement de couleur de peau à la tête d'un pays ne permettent pas la mue profonde de règles ancestrales basées sur la discrimination. Ici, les noirs et les métis sont toujours des usurpateurs, et les blancs, nostalgiques de leur puissance.

Mais sans clichés. Michiel Heyns manie avec talent le sarcasme et peint avec brio les nostalgies tues et la complexité de tout individu. Dans Un passé en noir et blanc - un titre judicieux -, on ne peut finalement blâmer aucun des protagonistes. Il font comme ils le peuvent, comme on leur a appris à se montrer et à agir. Et l'amour comme les relations dans leur intensité dépassent ce panorama en noir et blanc.

C'est une tragédie moderne. Qui fait mal, dont les actes dépassent les pensées, et sont terriblement irrémédiables dans leur finalité. Comme pour l'Othello de Shakespeare, Un passé en noir et blanc questionne les origines, les choix de vie et l'incapacité de l'humanité à dépasser ses démons. Comme le dit l'un des protagonistes, Bennie Nienaber : "Pas de tragédies, juste un gâchis. Nous sommes une famille productrice de gigantesques foutu gâchis".

Des personnages étonnants et superbement "mis en scène" par des dialogues d'une truculence et d'une intelligence remarquables. Un roman dont il faut se repaître.


Frédéric Bargeon
( Mis en ligne le 20/06/2014 )
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