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Adolescente en détresse
Emma Cline   The Girls
10/18 - Domaine étranger 2017 /  8,10 € - 53.06 ffr. / 360 pages
ISBN : 978-2-264-06633-6
FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm

Première publication française en août 2016 (Quai Voltaire)

Jean Esch (Traducteur)

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La rentrée littéraire 2016 offrait deux romans sur l'affaire Manson, celui de Simon Liberati, California girls, et The Girls d'Emma Cline (édition américaine 2014). Si les deux portent sur le même tragique «fait divers», l'approche est radicalement différente. Premier roman d'une toute jeune américaine (née en 1989), The Girls, davantage que l'horreur des meurtres, s'intéresse à la personnalité de la narratrice, Evie, quatorze ans en 1969, qui aujourd'hui se souvient. En miroir : le portrait de ceux qui la conduisent à se remémorer cet été meurtrier : Julian, une vingtaine d'années, et sa copine Sasha.

Des jeunes adultes d'aujourd'hui, paumés, en rupture de ban, qui la renvoient à sa propre adolescence et au terrible été 1969. Julian est le fils des amis qui hébergent Evie dans leur résidence secondaire. En filigrane : l'idée que chaque génération vit douloureusement l'insertion dans le monde adulte. Le roman est construit en flashbacks, sur quarante-huit heures de la vie d'Evie, troublée par le passage éclair de Julian et de Sasha.

À l'été 1969, Evie a quatorze ans, elle vit difficilement le divorce récent de ses parents, dans son milieu aisé, avec une mère frivole et déboussolée, un père charmeur parti avec une jeune femme ; son amie, Connie, ne répond pas - ou mal - à son besoin éperdu d'affection ; rien ne compte vraiment dans sa vie de petite fille poussée vers l'adolescence et qui n'a aucune confiance en elle.

Aussi, lorsque survient dans cette vie morne une jeune fille étrange, Suzanne, aînée d'une bande de filles qui vit en marge dans un camp improbable au coeur des collines sauvages, sous la coupe d'un gourou, Russell, Evie est fascinée. Elle ne voit rien de la crasse, du caractère glauque du lieu et de ses habitants, de la perversité de Russell. Les filles qui fouillent les poubelles à la recherche de nourriture, les enfants couverts de cicatrices, affamés, élevés au petit bonheur, les drogues qui circulent, rien ne la choque, ou plutôt elle transforme tout au filtre d'un bonheur qu'elle imagine, dans une «Famille» vivant d'amour à ses yeux. Au centre : sa quête effrénée d'affection, l'attirance qu'elle ressent pour Suzanne. Au dernier moment, pourtant - pour quelles raisons ? -, Suzanne la renverra de l'équipée meurtrière.

Emma Cline excelle à décrire cette atmosphère hippie de la Californie des années 1960, et l'angoisse de l'adolescence. Son propos n'est pas tant de reprendre l'histoire de Charles Manson que de montrer les désarrois d'une adolescente en mal de tendresse, prête à accepter n'importe quel refuge : Evie en 1969, Sasha aujourd'hui... En ce sens, The Girls évoque le roman de Jeffrey Eugenides, Virgin Suicides, davantage que le De sang-froid de Truman Capote.

Un premier roman prometteur.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 06/10/2017 )
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