| Frédéric Beigbeder Windows on the World Gallimard - Folio 2005 / 6.20 € - 40.61 ffr. / 367 pages ISBN : 2-07-031461-8 FORMAT : 11x18 cm cm
Première publication en septembre 2003 (Grasset). Imprimer
Il y a deux périodes dans la carrière décrivain de Frédéric Beigbeder. Avant 99 francs, son best-seller absolu bientôt porté à lécran par Antoine de Caunes, avec Édouard Baer dans le rôle principal laimable publicitaire publiait en dilettante des romans élégants, sombres et un peu trash Vacances dans le coma, LAmour dure trois ans , portraits narcissiques, mais bien fichus, dune jeunesse friquée, désenchantée et fêtarde.
Depuis son entrée dans le cercle fermé des meilleurs vendeurs de livres, Beigbeder a pris de limportance et se lance désormais des paris littéraires dont le fameux Inventaire avant liquidation (2001), dailleurs complètement loupé. Le défi de Windows on the World est la narration, en temps réel, des deux heures qui ont changé lAmérique et une partie du monde (oui, une partie seulement), le 11 septembre 2001, entre 8h30 et 10h29, avec la volonté ambitieuse «peut-être vouée à léchec, de décrire lindescriptible».
Beigbeder se met donc dans la peau dun Texan divorcé, friqué et gros baiseur, qui emmène, à la date fatidique, ses deux fils au Windows on the World, le restaurant situé au 107e étage de la tour nord du World Trade Center, la seconde à seffondrer. Parallèlement à ce drame minuté, le roman se double dune «autobiographie pudique» de Beigbeder, jet-setteur et privilégié, qui bat ici sa coulpe devant ses errances passées, présentes et à venir. La majeure partie de son ouvrage est rédigée depuis le restaurant Le Ciel de Paris, en haut de la tour Montparnasse, le reste est écrit depuis New York. Retour sur soi, recherche du double, étrangeté des trajectoires parallèles et des destinées tragiques, réflexions sur la perte des êtres et des idéologies , le sexe, les erreurs, lécriture, et au final la dérision de tout cela, parsèment ce roman bifide.
Venons-en tout de suite à l'endroit où le bât blesse. Cest courageux de la part de Frédéric Beigbeder de vouloir se lancer dans lécriture de lindicible, genre littéraire en soi initié par les survivants de lHolocauste (Primo Levi, Jorge Semprun
), et sous-tendu par la réflexion suivante : peut-on écrire sur ce qui nest pas racontable ? Le problème, cest que Beigbeder nest pas Primo Levi, et sa tentative de pénétrer les secrets de lhorreur, de la panique, de la douleur des corps calcinés ou qui sécrasent sur lasphalte, échoue totalement. De même, Beigbeder nest pas Bret Easton Ellis, et sa description du New York branché clubs échangistes et boîtes chics et des méandres de la perdition sélect défonce et masturbation dans les palaces, observation fascinée des stars de passage ne convainc pas non plus.
Reste lautre face du roman, celle où Beigbeder se livre et se raconte, assez honnêtement, en tant quhomme, homme qui pense, qui aime, qui se souvient, partie beaucoup plus réussie, voire émouvante ce qui avouons-le, est quand même dommage, puisque lex-publicitaire narrive finalement jamais à sortir de son obsession compulsive de lui-même, véritable gangrène de la littérature moderne.
L'écrivain dispense ça et là une auto-flagellation facile : «Quant à lexception culturelle française, contrairement à ce que disait un pédégé viré depuis, elle nest pas morte : elle consiste à faire des films exceptionnellement chiants, des livres exceptionnellement bâclés, et dans lensemble des uvres dart exceptionnellement pédantes et satisfaites. Il va de soi que jinclus mon travail dans ce triste constat» ; il fait preuve dun sens de la formule qui a fait son talent de publicitaire et de chroniqueur : «La tour de Babel était la première tentative de mondialisation» ; «Il y a une utopie communiste et cette utopie sest arrêtée en 1989. Il y a une utopie capitaliste et cette utopie sest arrêtée en 2001» ; et profère un nihilisme gentillet : «On ne vénère plus le fric, les gens en sont dégoûtés mais ne savent pas comment vivre autrement, alors ils se font masser la nuque, sallongent sur des divans, trompent leur femme avec leur maîtresse et leur maîtresse avec un mec, ils cherchent lamour, ils achètent des boîtes de vitamines, appuient sur laccélérateur, klaxonnent, oui, cest ça luniverselle course désolée, ils klaxonnent pour quon sache quils existent.»
En bref, Beigbeder déplore que son statut dhomme riche et célèbre empêche son propos révolutionnaire, que sa notoriété ait «disqualifé sa rébellion». Le problème, cest quune fois quil a dit ça, on fait quoi ? Quel est son fameux propos révolutionnaire, alors ? Et à nous de nous poser la question : doit-on forcément écrire un roman ambitieux quand on na pas grand-chose à dire, une fois sorti de son nombril ?
Caroline Bee ( Mis en ligne le 29/01/2005 ) Imprimer
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