| Philippe Curval Lothar Blues Le Livre de Poche - Science fiction 2013 / 8.10 € - 53.06 ffr. / 546 pages ISBN : 978-2-253-16973-4 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication en mars 2008 (Robert Laffont - Ailleurs & Demain) Imprimer
Le monde tel quAsimov laurait rêvé : 2060, des robots, partout, omniprésents, tellement perfectionnés (ils sont surnommés similis et quasis et ont des looks de mannequins) quon na même plus besoin de lhumanité pour vivre. Et de fait, suite à une recrudescence de criminalité infantile, les machines se sont substituées aux humains pour élever leurs rejetons
Noura est lun de ces enfants dun nouveau genre. Il a récupéré son vieux robot nounou, Lothar, qui a réponse à tout. Il ne sait pas trop quen faire. Et surtout il déprime, confronté au drame réel de sa génération : la démission, labandon des parents, réfugiés dans dautres réalités
Et Lothar savère être la seule piste pour comprendre. Oui, mais
Lothar séchappe, se rebelle, trahit
Impossible ?
Dans le monde de Noura et Lothar, la machine a désormais un statut, des avocats, et surtout, elle peut évoluer, acquérir une conscience propre, par elle-même, vivre en somme !
Et pourquoi pas trahir, violant la fameuse loi robotique ! Dans ce monde où les robots sémancipent, lhumanité est confrontée à un choix cornélien : sen remettre à son ancien serviteur, comme le font les tessaristes, ou le détruire, comme en rêve la secte Protech de Karel Burr. Et bizarrement, tout ce petit monde a le regard fixé sur Noura et son robot évolutif, Noura dont le père, si mystérieusement disparu, semblait avoir tout prévu. Une enquête à risque.
2060 cest demain, et le demain en question nest pas brillant. Une humanité contaminée par la technologie, au point quon y croise désormais des sectes technologistes. Lhomme a cessé dêtre un animal social pour devenir un animal solitaire, épaulé par la machine qui subvient à tous ses besoins sociaux, le remplace au travail, lui mitonne des petits plats, le déniaise à loccasion et même, se bat à sa place. Une vie faite de détente et de création, sans tâche ingrate. Le bonheur ? Cest à voir
et cest même tout vu avec ce roman en forme de «tableau de la vie future».
Philippe Curval, 80 ans, une uvre de SF indiscutable, romans et nouvelles (Cette chère humanité, LHomme à rebours
). Et un nouveau roman, qui continue à décrire un futur pas très éloigné, avec des repère connus (laction se passe à Paris, un Paris encore un peu reconnaissable, avec son réherre, sa banlieue toujours malfamée, une mégalopole européenne pas franchement idyllique) et des situations à peine imaginées (la capitale européenne sappelle Bruxbourg, la cigarette est désormais proscrite même à domicile, lécologie est devenue un sectarisme et lon parle des khmers verts, Ground Zero a subi un nouvel attentat atomique
), dans une atmosphère à peine plus délétère et réchauffée (Paris-Dakar
même climat).
Plus quun roman, cest un tableau dun futur pas riant, mais diablement proche, un conte danticipation par la plume dun maître du genre, doucement ironique, discrètement nostalgique (comme son héros, qui reconnaît dans la voix de son GPS celle dun vieil acteur), gentiment conservateur même. Et le lecteur y verra aussi une variation sur notre société qui avance trop vite, un progrès qui semballe au point de ne plus avoir le temps de se poser des questions clefs, un progrès qui, pour servir lhomme, le détruit à petit feu.
Dans un style sobre et efficace qui est la patte du talent, Philippe Curval nous entraîne dans un récit en forme de vitrine de lavenir, qui pose des questions en rafales, discrètement, sans en avoir lair. Noura et ses déambulations sont, dans un sens, une métaphore de lauteur face à notre présent, ainsi quune réflexion sur la machine, la conscience artificielle et, plus largement, ce qui définit une «personne». Une parabole donc, dans un style philosophique qui est la marque dune SF en pleine maturité. Le lecteur passe du «je» humain au «je» robotique, chaque chapitre, court, tourne autour dun personnage et lintrigue, peu à peu, se dévoile. Quelques grosses ficelles par endroit, et des coïncidences douteuses, mais le sujet est moins le couple Noura/Lothar que le futur lui-même. Un régal pour les amateurs danticipation à la française, loin du space opera, mais pas de lavenir.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 08/07/2013 ) Imprimer | | |