| |
Du fait divers comme écriture de soi | | | Alain Defossé On ne tue pas les gens Flammarion 2012 / 15 € - 98.25 ffr. / 140 pages ISBN : 978-2-08-125585-2 FORMAT : 13,6cm x 21cm
L'auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Enseignant à Casablanca, il est Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University). Auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (LHarmattan, 2007), il vient de coordonner le numéro 51 de La Revue littéraire (éd. Léo Scheer) consacré à Hervé Guibert. Imprimer
Cette histoire, Alain Defossé ne voulait pas la raconter. «Ce nétait pas un projet. Cétait un chagrin, un arrière goût persistant de chagrin, un poids de chagrin sur la poitrine, comme on en traîne tous». Mais après avoir regardé «Faites entrer laccusé», émission consacrée à cette nuit de juillet 1999, le narrateur décide alors de lécrire, quand même, puisque sa «tristesse sest révoltée contre elle-même», puisquil a vu sur lécran une histoire «tronquée, biaisée, déformée (
) lacunaire».
Cette histoire se déroule à Châteaubriant, «une petite ville près de Nantes», le 19 juillet 1999. Il est 23h25, Alain Defossé se rend au bar la Louisiane, géré par Didier. Cest un lundi, il ny a pas beaucoup de monde. Dans une des salles, un petit groupe de jeunes qui sen sont pris à lui, quelques heures auparavant. Lun dentre eux passe une nouvelle commande, paie, mais déclare avoir donné un billet de deux cents francs alors que Didier rend la monnaie sur cent. Il sest fait rouler. «Il le prend très mal. (
) Quelque chose vient darriver, qui le rend définitivement hostile à ces types bruyants qui chauffent une fille superbe et saoule dans son café». Comme dans les tragédies, Didier «sest décidé à quelque chose»
Le récit de cette soirée, retranscrit en italiques, alterne avec des commentaires dans lesquels le narrateur relate son arrivée dans la ville, en fait un peu lhistoire, «à coups de souvenirs, danecdotes», évoque les communautés qui lhabitent, qui sopposent, saffrontent, éclaire la tragédie dont il a observé les premiers actes, disperse des morceaux de soi, sous formes de réflexions, de confidences, dabandons et dessine, au fur et à mesure, un autoportrait touchant, vrai, sans complaisance.
Cette histoire, celle du drame, cest aussi la sienne. Elle se fond à sa vie, dans sa propre histoire, à lui, et lui donne une tension, une dynamique toutes romanesques. Un roman noir. Alain Defossé, témoin de ce qui aboutira à un meurtre, en vient, pour la circonstance, à se faire le témoin de sa propre vie, de celle des personnes qui lentourent, quil a croisées. Un roman de soi, une autofiction. Il devient leur «prédateur à rebours». Leurs histoires se mêlent alors, nen font plus quune.
«Cette histoire a empoisonné ma vie. Elle empoisonne également mon écriture. Généralement je fais avec mes poisons. Cette histoire est un coup de couteau, une déchirure, dans ma vie comme dans mon écriture. Une trouée. Par une trouée on voit le ciel. Là on ne voit rien quun épisode que je voudrais taire, un ciel de ma vie que je nai pas envie de montrer. Pourtant je le fais, cest pire quune nécessité. Cest un devoir».
On ne sait plus ce qui prime, au final, dans On ne tue pas les gens
Lhistoire de Didier, de Carole, dAlain ? Les morts ? Ce qui, chez le narrateur, est mort ? Tout se mélange, bien sûr. Mais ce qui émerge, qui importe alors, que l'on garde à l'esprit, c'est lécriture, assurément
Celle dune fracture, dune plaie, ouverte encore, qui saigne. De ce sang dont on fait des livres. Des livres impossibles et nécessaires.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 11/01/2012 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Chien de cendres de Alain Defossé | | |