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De l’inconvénient d’être né… | | | Martin Page On s'habitue aux fins du monde Le Dilettante 2005 / 19.50 € - 127.73 ffr. / 284 pages ISBN : 2-84263-112-9 FORMAT : 14 x 20,5 cm Imprimer
Cest par Comment je suis devenu stupide (Le Dilettante, 2000) que lon a connu Martin Page. Cette satire du monde contemporain exhalait une fraîcheur, une ironie, et en même temps une tendresse qui aboutissaient à une sorte délégance désespérée des plus réjouissantes. Ses livres suivants nont pas déçu, accentuant chacun un côté de son écriture : La Libellule de ses huit ans (Le Dilettante, 2003) était un petit chef-duvre de malice délicate et cruelle tandis quUne parfaite journée parfaite (Editions Nicolas Philippe, 2002) avait un côté moins écrit, plus «punk» mais non moins convaincant.
Toujours fidèle à la petite maison dédition du XIIIe arrondissement, ce quatrième roman confirme tout le bien que lon peut penser de Martin Page. Ce dernier continue à explorer ses thèmes de prédilection en renouvelant partiellement sa vision du monde et des sentiments.
Elias est producteur de cinéma. Il a toujours réussi ce quil a entrepris sans pour cela être arrogant, sans quil pense mériter ce quil a. Cest aussi que cette existence nest pas si heureuse quelle pourrait lêtre, remplie de doutes, de mélancolie. Un soir, après avoir reçu une récompense, il jette son trophée dans la Seine. Clarisse, son amie, est partie depuis plusieurs jours. Puis, sans raison apparente, Caldeira, un des plus grands réalisateurs vivants dont Elias doit produire le film, lui casse la gueule avant de lexpulser de chez lui. Le coup reçu de Caldeira marque une nouvelle étape dans sa réflexion sur son existence, il est le révélateur de son mal de vivre. Elias descend de son piédestal dans son métier : ayant perdu le projet Caldeira, on ne lui donne que ceux de seconde zone ; comme cette adaptation de la vie dune romancière suicidaire avec qui il entretient une relation ambiguë faite dattirance mâtinée de mépris et dincompréhension. Elias en vient demander à un détective denquêter sur lui-même. Les désillusions faisant suite aux prises de conscience amères, le salut ne viendra-t-il pas de Caldeira lui-même, figure chaude et englobante, ou de Margot, fascinée par la mort ?
Plus que la trame et le plan de louvrage, cest lécriture qui retient le lecteur. Martin Page na rien perdu de son talent ni de son style. On retrouve la même finesse dans les traits dhumour, le même esprit, la même tendresse dans lironie et la satire. Sil égratigne notre société, cest sans jamais avoir lair dy toucher, toujours avec la finesse dune écriture qui na pas besoin dêtre appuyée outre mesure, atténuée, comme en demi-teinte.
Lécriture invente ainsi de nouvelles logiques pour expliquer le réel («On venait dAfrique et dAsie pour habiter les rues de la Goutte dOr» - p.194), tissant de nouveaux rapports entre causes et effets («le petit nombre de tombes récentes prouve que lon ne meurt plus à Paris. On na pas le temps. Il y a toujours autre chose à faire, une exposition à voir, un repas à préparer pour des amis, une conversation à continuer» - p. 138). Lauteur, par le biais de ses personnages, jette sans cesse un regard ironique et neuf sur le monde et les gens, et, ne les comprenant pas, tente de les expliquer à sa manière, en inventant sa propre logique.
Car les personnages, eux aussi, sont dessinés avec brio. Ils sont pittoresques au bon sens du mot, tous plus étranges et originaux les uns que les autres. Tout le problème vient de ce que les personnages des livres de Martin Page sont fondamentalement bons : Elias est sans aucun doute le plus attachant mais Darius, truand travailleur et sensible, Marie, secrétaire attentive et maternante, Margot, romancière suicidaire, ne le sont guère moins. Même ceux qui devraient nous être antipathiques (Victor, Arden Gaste
) ne le sont pas. Car le malheur ne vient pas des hommes mais des relations quils entretiennent entre eux, et ce, malgré toute leur bonne volonté et leur recherche du bonheur.
Tout ceci pourrait paraître bien mièvre, nétaient la retenue, la précision et lhumour de Martin Page. Il évite le lénifiant comme lédifiant : nulle visée démonstrative, nulle volonté de prouver quoi que ce soit sur lhomme. Essentiellement grâce à lironie et le détachement jetés sur ses personnages, la désinvolture désespérée avec laquelle ils se jugent et jugent les autres : elle ne comptait pas le nombre de fois où elle avait entendu ma chérie cest absolument charmant ce petit vase et quelle table incroyable mais comment fais-tu pour trouver tout ça ? Les puces et les brocantes, les poubelles aussi [
] Le véritable secret est davoir une vie amoureuse vide et une vie sexuelle lamentable. [
] Il faut bien combler les dimanches. Acheter de grands sacs et les remplir de choses qui, cumulées, remplaceront un enfant. (p.177)
Ce désespoir est douloureux, certes, il impose sa mélancolie et son mal de vivre. Mais il est aussi le signe de la prise de conscience. Il est également un vêtement qui cache la banalité des gens et les rend intéressants : rien nest plus dénué dintérêt quune personne heureuse. Cette double nature ambiguë fait quElias aime le désespoir chez ses semblables : cest lui quil aimait véritablement chez Clarisse, cest lui également qui le lie à Margot. Et pourtant, il aimerait pouvoir sen débarrasser.
Peut-on y échapper ? Peut-être si lon sait faire la part des choses et ne pas tenter de réaliser des envies que lon na pas mais qui sont dictées par les autres. Comme il est très difficile de se juger soi-même, la présence des amis est primordiale («Elias avait cru que cétait de lamour parce que personne ne lui avait dit que ça nen était pas» - p. 63). Cest ce rôle dami, de conseiller, de mentor, sensible aux succès et aux échecs que joue Elias vis-à-vis de Darius. Cette relation forte sopposant à la simple relation sociale, comme celle, agréable mais vaine, entretenue avec Victor («[Ils] partageaient des indignations contre la guerre, la faim, loubli» - p. 66).
Il y a certainement un côté non pas plus sérieux, mais plus posé dans ce quatrième roman de Martin Page. Il conserve sa fantaisie et son inventivité, certes, mais il est certainement moins échevelé, moins extravagant que les précédents. Il cultive davantage le côté doux-amer et gagne ainsi en profondeur ce quil perd en humour. Martin Page mûrit peu à peu son écriture sans renier ses thèmes, non plus que son originalité.
Rémi Mathis ( Mis en ligne le 30/10/2005 ) Imprimer
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