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| Gilles Sebhan Mandelbaum ou le rêve d’Auschwitz Les Impressions nouvelles 2014 / 13 € - 85.15 ffr. / 144 pages ISBN : 978-2-87449-215-0 FORMAT : 14,4 cm × 21,0 cm
L'auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Il enseigne actuellement les lettres, la philosophie et le Français langue étrangère en Allemagne, à lEcole Européenne de Karlsruhe. Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), il a publié plusieurs livres sur Hervé Guibert et lautofiction et cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org. Imprimer
En sintéressant à la figure du peintre bruxellois Stéphane Mandelbaum (1961-1986), Gilles Sebhan poursuit son travail sur les thèmes chers à son uvre : la création, la sexualité, la criminalité, les blessures
Ainsi, après ses récits biographiques consacrés à Jean Genet et à Tony Duvert (Domodossola, le suicide de Jean Genet et Tony Duvert, lenfant silencieux, tous les deux publiés chez Denoël en 2010), on comprend que lécrivain se soit attaché à cette personnalité hors-norme, fulgurante, insaisissable et fragile, déjà mythique.
Lorsque Stéphane Mandelbaum fut retrouvé assassiné en 1986, dans un terrain vague de la banlieue de Namur, il nétait âgé que de 25 ans. Le vol dun Modigliani puis un règlement de compte entre complices l´avaient mené jusque-là. Quatre ans plus tard, en 1990, Gilles Sebhan découvrait son uvre dans une galerie parisienne, loubliait puis la retrouvait comme par hasard ou un acte manqué réparé. Car les failles de Mandelbaum sont aussi celles de Sebhan : «à travers lui le rappel dun fantôme qui ne cessait de me hanter, cette impossibilité dêtre juif, et pourtant également cette impossibilité de ne pas lêtre et de lêtre ailleurs que dans ce lieu infernal [un camp de concentration], perdu, désespérant dans la brume, ce spectre de lieu».
Gilles Sebhan nous emporte dans la vie de Mandelbaum comme lon mène une enquête, non pas policière ou pas seulement tout au moins mais personnelle. Stéphane Mandelbaum devient son affaire. Dailleurs, Christine, la première petite amie du peintre, la bien senti lorsquelle lui dit : «je crois que tu es venu chercher à Bruxelles, dans cette histoire, quelque chose de Stéphane qui te concerne. [
] Jai limpression que cest ce qui te donne les intuitions que je sens». Mandelbaum, comme lavaient été Genet et Duvert, senvisage comme un double de Sebhan : quand il parle du peintre, cest aussi de lui quil parle.
Lhistoire de Stéphane Mandelbaum est celle dun adolescent puis dun jeune homme à lidentité complexe et clivée. Son père est juif dorigine polonaise, sa mère arménienne. Il n´est pas juif mais toute sa vie il recherchera les traces de «sa» judéité à travers la figure de son grand-père, lapprentissage, quelques temps, du Yiddish et le retour constant à la Shoah «qui ne cesse dapparaître en toile de fond» dans son travail. Les figures dassassin, de bourreaux, celles de Himmler, de Goebbels côtoient les images de camps sur lesquelles sajoutent ou se superposent celles pornographiques de sexes dhommes et de femmes. Eros et Thanatos entreprennent une danse des plus macabres dans des dessins qui sonnent comme autant de cris de rages, dangoisse et de mal-être. Cette identité à la quête delle-même sexprime aussi à travers les nombreux autoportraits réalisés, autoportraits qui, comme ceux de Francis Bacon, cherchent la ressemblance dans la déformation. Enfin, sa sexualité, devenue «incontrôlable» selon les termes de sa première fiancée, son pouvoir de séduction qu´il exerce sur tous ou les suppositions concernant une éventuelle homosexualité manifestent par ailleurs une identité multiple et tourmentée.
Lhistoire de Mandelbaum cest aussi celle dun talent dont luvre ne peut être quen germe, une uvre inachevée bien sûr mais celle dun «enfant génial» (on pense à Basquiat, à Rimbaud) dont le travail dégage «un pouvoir, réel ou imaginaire, digne du vaudou. Un pouvoir que lon pourrait dire maléfique». Le dessin souvent au Bic et les mots sy entrechoquent, sy dédoublent, avec lorthographe fautive mais dautant plus poétique du dyslexique que lartiste fut toute sa vie. Une uvre violente et crue, provocante, à limage de la vie de son auteur.
Le livre quen fait Gilles Sebhan est une vraie réussite. Loin de la biographie traditionnelle, il dépasse lhistoire de Stéphane Mandelbaum pour devenir le «voyage» qua fait lécrivain pour mieux le connaître, pour le (re)trouver, un voyage extime qui le ramène à lui, à ce «je» omniprésent dans le texte, à ses peurs, ses doutes, à ses propres interrogations. Et ce «je» parvient à refaire vibrer la vie et l'uvre inextricablement mêlées de Mandelbaum.
Pas de résurrection, non, la littérature n´a pas ce pouvoir. Juste une vibration, une pulsation, un souffle arraché à la mort : le plus beau des hommages.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 22/09/2014 ) Imprimer
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