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Des murs de la ville au livre : un état des lieux…
Stéphanie Lemoine   Julien Terral   In situ - Un panorama de l'art urbain de 1975 à nos jours
Alternatives 2005 /  30 € - 196.5 ffr. / 159 pages
ISBN : 2-86227-465-8
FORMAT : 24,0cm x 27,0cm
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La locution In situ désigne un ensemble de pratiques spécifiques qui s’illustrent dans l’espace urbain, afin qu’il y ait interaction des œuvres sur le milieu et du milieu sur l’œuvre. L’élargissement du champ de l’art opéré depuis le début du XXe siècle induit en effet la transgression des limites des cadres traditionnels proposés par les institutions artistiques et, partant, l’épanchement, la dissolution de l’art dans la vie. Les rues sont nos pinceaux, les places nos palettes, proclamait Maïakovski, fondateur du futurisme à Moscou. Car la ville, depuis les pérégrinations dadaïstes et surréalistes mais aussi les affiches hautes en couleurs des constructivistes russes des années 20, s’offre comme le terrain privilégié pour une mise en perspective de l’imaginaire et des innovations plastiques, dans un espace public, espace de rencontres s’il en fût. Depuis les années 80, ce qu’il faut bien nommer la commande publique est encore venue émailler le territoire urbain, agrémenter, en somme, l’environnement de ce petit supplément d’âme qui manque tant, dit-on, à nos villes.

Dans l’ouvrage publié aux éditions Alternatives, il ne s’agit pas cependant de rendre compte des œuvres destinées à l’espace public, élaborées spécifiquement pour lui, suite à la renommée acquise de leurs auteurs, mais des œuvres précisément nées dans la ville, sur ses murs, ses barricades, dans ses friches. L’ouvrage entend présenter un état des lieux des témoignages humbles et, bien souvent, éphémères, d’artistes qui ont choisi la rue pour s’exprimer. Artistes le plus souvent anonymes ou masqués sous l’énigme de pseudonymes prudents ou proprement ludiques. On y retrouve des grands pionniers comme Ernest Pignon-Ernest, Miss.Tic, Blek le rat ou Speedy Graphito. Le terme In situ, prend là tout son sens : il s’agit d’œuvres réalisées sur place. Cependant, malgré son titre, l’ouvrage ne se cantonne pas uniquement à l’in situ au sens strict car certaines des œuvres présentées sont d’abord élaborées dans des ateliers avant de venir trouver place in situ, précisément. La réalité de l’art sauvage apparaît bien plus complexe que ne pourrait le laisser entendre l’ambition des auteurs, annoncée dès le titre.

La ville se trouve envahie, depuis les années 50, par des peintures singulières. Par peinture, entendez le recouvrement de surfaces par la couleur, le trait, la forme, le mot, l’image, l’idéogramme, le symbole. Entendez encore graffiti, tag, affiche, sticker. Anonymes, sauvages, hors circuit, les pratiques dites de la rue se dérobent sans cesse à toute définition et c’est bien là leur spécificité. L’ouvrage se propose toutefois de donner quelques pistes de lecture. Une première partie se fixe pour tâche de saisir les fins et les moyens de la nébuleuse street art : sa genèse dans les avant-gardes et Mai 68, une identification des espaces où elle trouve à s’épanouir (catacombes, friches, moyens de transport), un recensement de ses techniques privilégiées (le graffiti, l’affiche, le sticker, le pochoir, la photographie) et, enfin, le constat de l’ambiguïté de sa démarche. L’art de rue est de toute part tiraillé entre rébellion, à la fois ludique et acharnée, et désir de relier une pratique, nativement irréductible à toute institutionnalisation, au système de l’art, en vue d’une reconnaissance, ou encore de se travestir en marchandise. La spécificité de l’art est bien de se donner à voir et la rue constitue un premier espace possible d’exposition. Et ce désir supplante bien souvent la charge critique et politique que revêtait initialement le tag, le détournement d’affiche ou le graffiti. Les agitateurs de Mai 68 recouvrirent les murs de Paris de slogans éminemment contestataires, motivés par le désir d’un bouleversement de la vie quotidienne et, par conséquent, du cadre de vie. Une pensée singulière de l’urbanisme est née avec cette vague de révolte. Que reste-t-il de cette expression du désir, facteur le plus puissant de la critique politique et sociale ? Les auteurs ont bien montré qu’une transformation s’opère depuis deux décennies : le tag ou le graffiti ne sont plus seulement moyens d’expression ou désir de repenser des espaces mais art à part entière. Là réside la revendication. Souhait d’une reconnaissance donc. Et le seul moyen : une visibilité toujours plus grande, toujours plus surprenante, sur le modèle new-yorkais.

Dans un même mouvement, cette appropriation, si prégnante et si colorée, souhaite apporter à l’espace public ce supplément esthétique dont les cités se trouvent privées. L’interaction est le maître mot, l’irruption sauvage le moyen. De la même manière, l’ouvrage se présente sous la forme d'un livre ouvert à l’expression des artistes. La voix des acteurs vivifie le propos, le corrobore. Et pourtant, ces citations catapultées ici ou là, sans cohérence ni parti pris, tendent à nuire à la lecture. Si les images sont là, et elles sont nombreuses, on regrette de ne pas pouvoir décrypter davantage leur message. On eût souhaité une analyse plus poussée de leur objet, un moment d’évasion, en somme, dans l’imaginaire qu’elles véhiculent et souhaitent transmettre, une appropriation, en bref, de ces traces mémorielles, issues de l’enfance et de la culture populaire la plus large. On eût aimé quelques clefs, quelques indices, pour pouvoir mieux lire ce qui se joue dans ces images et le rapport qu’elles cherchent à instaurer non seulement avec le public mais aussi avec l’architecture ou l’urbanisme. Le support de l’art n’a jamais été anodin et le mur s’offre, précisément, comme un palimpseste particulier, qui renoue avec les origines mêmes de la peinture. Relevant de la réminiscence ou du détournement parodique, tout graffiti, tag ou encore sticker entrent inévitablement en conflit avec d’autres signes visuels ou fonctionnent dans un système perceptif particulier. On eût aimé participer, aussi, à ces codes, ces signes le plus souvent déchiffrables par les seuls initiés, en particulier dans le cas du graffiti. Si le propos des auteurs est souvent juste, il aurait mérité une concentration plus grande, au lieu de se disperser dans une maquette confuse, qui accorde une grande place à l’image, sans jamais s’y référer.

La seconde partie de l’ouvrage, plus pertinente, dresse le portrait de quelques personnages phares du street art : Paella ?, Psyckoze, O’Clock, Jérôme Mesnager, Lokiss, Lek, François Morel, Invader ou encore VLP. L’abondance des occurrences permet de laisser se dévoiler des identités et les parcours individuels. S’il est intéressant de pouvoir ainsi repérer des artistes qui demeurent confinés dans leur pratique, négligés par l’histoire de l’art, on oublie les fondements mêmes de leurs démarches. Une genèse ne suffit pas. Il manque l’état d’esprit qui l’anime. Car ce type de pratique, rebelle et appropriative de l’espace public au sens le plus large, s’avère, malgré sa pérennité, le produit d’une époque. Dès les années 70, ces pratiques s’inscrivent en effet dans la culture underground, où l’art plastique figure en contrepoint de la musique rap et de la breakdance. Le «panorama» prétend débuter sa course en 1975. 1975 est bien l’année de la naissance officielle du mouvement punk. Malgré l’irréductibilité des démarches individuelles, celles-ci ne peuvent être dissociées d’une époque, si contemporaine soit-elle.

Or, l’ouvrage se confine à un état des lieux, au reportage photographique, à la simple saisie soucieuse de pérennité, alors que l’appropriation va bien au-delà des seuls murs : on s’approprie un public, un discours et des contenus. On détourne des lieux, des mots, des images, on recycle un inconscient collectif et individuel dans l’imbroglio d’espaces labyrinthiques et complexes. On dissout l’art et, partant, des idées, esthétiques ou politiques, dans un environnement public, dans les non-lieux quotidiennement partagés. On recherche des zones de dérèglement, des failles. On s’introduit entre les mailles du filet afin d’échapper à la tyrannie des exécutants de la législation.

Il est heureux d’introduire sur le désir d’une fusion de l’art et de la vie, leitmotiv des avant-gardes artistiques du XXe siècle. Mais que conservent ces pratiques de l’interrogation fondamentale dont elles tirent leur origine ? On oublie la part de jeu, de jeu sérieux.


Danielle Orhan
( Mis en ligne le 04/01/2006 )
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