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Rigueur et convictions
Pierre Riboulet   Ecrits et propos
Editions du Linteau 2003 /  23 € - 150.65 ffr. / 240 pages
ISBN : 2-910342-34-4
FORMAT : 13x21 cm

L'auteur du compte rendu : Emmanuel Cros étudie l’architecture au Bauhaus de Weimar en Allemagne.
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«Ce sont là des textes de circonstances. Articles, entretiens, interventions diverses, ils ont toujours été sollicités. Cela ne veut pas dire que je sois sans initiative et les circonstances n’empêchent pas l’unité de la pensée», écrit Pierre Riboulet en ouverture de la préface rédigée quelques mois avant sa disparition à l’âge de 75 ans, le 21 octobre 2003. Architecte et urbaniste, Pierre Riboulet a œuvré dans toute la seconde moitié du XXe siècle. Il n’a jamais arrêté ses travaux, que ces collaborateurs poursuivent aujourd’hui.

Les douze textes, pris sur une période de trente ans, traitent des problématiques de leur époque, des préoccupations sociales, de moments historiques ou décrivent les raisons d’un bâtiment. Les termes sont choisis, l’écriture est précise. On trouve chez Riboulet la même justesse dans la phrase que dans le trait, comme une obstination à égaler la netteté d’un accord musical. Il n’use pas de l’habillage qu’il dénonce, cet emballage des concepts creux, se méfiant de l’usage de «l’agréable vocable de «renouvellement urbain»…» ou de la «promotion sociale» (pp.124 et 140). C’est qu’il observe les «conditions d’existence» et s’applique à répondre avec respect à la «commande sociale» (pp.129 et 90).

Un entretien réalisé en 1996 avec Catherine Blain établit une chronologie des années de formation. Il évoque l’importance de la confrontation à une culture double, de l’architecture classique dans l’atelier Gromort/Arretche et de l’architecture moderne dans ses années d’Ecole des Beaux-Arts. C’est là qu’il rencontre Jean-Louis Véret et Gérard Thurnauer avec qui il fonde en 1958 l’Atelier de Montrouge, lié au Mouvement Moderne. Mais Riboulet appartient à la génération de la Libération, pleine d’utopies, témoin aussi de la fin des théories et qui est ébranlée par la contestation de 68.
Le souhait d’une création plus personnelle met fin aux vingt années de collaboration de l’Atelier de Montrouge. Seuls deux textes rédigés dans la période d’activité au sein de l’agence collective reparaissent dans cet ouvrage. C’est à cette époque qu’il produit une thèse de sociologie sur l’architecture et les classes sociales en France. Après 1979, Pierre Riboulet exerce son activité sous sa propre signature. Cependant il prend part à plusieurs travaux en équipe, notamment pour le grand projet urbain de la Plaine Saint Denis. Il enseigne la composition urbaine à l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées de 1980 à 1997. En 1989 paraît Naissance d’un hôpital où il raconte la création de l’Hôpital pour enfants Robert Debré à Paris, au moment même où il conçoit le projet ; livre rare par sa manière.

Il y a chez Pierre Riboulet le désir de réunir et la détermination à convaincre. Il défend profondément une architecture consciente des valeurs morales. Son exigence intellectuelle et sa rigueur en font un architecte de convictions, refusant les concessions et dénonçant toutes les illusions du système marchand. L’utopie, celle de Charles Fourier en particulier, nourrit sa recherche. «Si bien entendu, je n’avais aucun moyen de transformer le monde, du moins pouvais-je puiser là une inspiration pour mes projets et créer, en les construisant, des dispositifs qui ne seraient pas seulement spatiaux mais aussi philosophiques et littéraires, et qui pourraient, peut-être, un jour, transformer ne fut-ce que modestement celui qui les parcourt» (pp.147-148). La nature même des projets conçus par Pierre Riboulet est le reflet d’une croyance sociale et politique portée par un idéal. Projets urbains, hôpitaux, bibliothèques, et universités, il s’agit de bâtiments publics et d’équipements collectifs toujours forts du symbole républicain. Des logements aussi. «De tous les programmes qu’un architecte peut avoir à traiter, celui de l’habitation est sans doute le plus difficile. Il est cependant le moins considéré», écrit-il en présentation du dernier texte de ce recueil (p.227), qui rapporte une expérience exceptionnelle de reconstruction d’une cité de cent logements à Saint-Denis.
Parce qu’il porte un intérêt assidu à l’histoire, celle des sites et celle des modes de production, il décrypte l’importance du foncier et de la propriété privée du sol. «Les rapports de production et les rapports de propriété persistent, fondamentalement inchangés» (p.128). Ce constat n’entame pas sa lutte contre la ségrégation spatiale et la précarité éparpillée, contre la misère aujourd’hui plus diffuse dans toutes les parties de la ville. Il sait combien il y a d’implications politiques dans l’architecture et toute l’idéologie qui réside dans la construction. «Pour paraphraser Clausewitz, on pourrait dire ici que l’architecture, et non la guerre, «est la continuation de la politique par d’autres moyens».» (p.177)

Pierre Riboulet écrit (p.38): «Plus on approfondit plus on doute. Et la création architecturale, c’est un métier où il ne faut pas trop douter, parce qu’il faut faire : il y a une nécessité de faire. Ce n’est pas du tout une situation comme celle du critique ou du philosophe.» L’architecture est une quête où s’activent le doute et la réflexion pour dissoudre l’incertitude : «Travail plusieurs fois repris, jusqu’à ce que l’expression juste soit trouvée, que la meilleure organisation s’établisse, que le parti d’architecture général soit enrichi par ce contenu fonctionnel tout comme celui-ci se trouve discipliné, rendu intelligible par la structure d’ensemble» (p.184). L’application de Riboulet à concevoir juste trouve son expression dans le mot «convenance» (p.192) par lequel il désigne l’adéquation d’un bâtiment au lieu et aux nécessités. La composition est sa ressource, pour assurer unité et cohérence dans la ville d’aujourd’hui. C’est une règle, un savoir-faire contre le laisser-faire du chaos. La beauté «d’une évidente utilité sociale» (p.92) et l’harmonie nécessaire sont ses buts. «L’unité complexe que vise la composition de l’espace est plus difficile à atteindre aujourd’hui par la fragmentation du processus pouvant y conduire. Beaucoup de personnes interviennent dans la création de la ville, disposant généralement de pouvoir plutôt que de compétence. Ceci est assez néfaste. Je suis de plus en plus convaincu que l’unité de l’œuvre dépend largement de l’unité existant dans le procès de la création, dans la pensée. La rupture de cette unité de pensée ne peut mener qu’à une ville faite de fragments épars, de débris d’œuvres, à une dislocation.» (p.94). Il ajoute, dans le texte intitulé «Pour une éthique urbaine» (pp.97-102): «Je n’ai jamais pu, personnellement faire une différence entre une création urbaine et architecturale, sinon peut-être d’échelle. C’est fondamentalement le même travail, celui de la composition.»

Un autre ouvrage de Pierre Riboulet, Un parcours moderne, est paru fin mai 2004 chez le même éditeur aux précieuses Editions du Linteau. Il s’agit d’une «courte autobiographie» écrite à l’été 2003. Pierre Riboulet est de ces architectes qui s’écrivent en construisant et construisent en écrivant. La réunion de ses écrits participe à l’étonnante unité de son œuvre bâtie. Elle révèle la valeur durable du texte et de l’architecture, ces conservateurs de substance.
Pierre Riboulet termine le texte «Quelle légitimité pour la forme architecturale ?» (pp.69-84), publié en 2000, par cette recommandation: «Ma position dans ces temps troublés qui s’annoncent est de dire que loin de céder au chaos, il faut opposer à la force aveugle du marché, la clarté et l’intelligence du travail de création au sens où j’ai tenté de le définir ici. Face à la vulgarité qui déjà partout nous submerge, nous devons créer des lieux les plus beaux possibles, les plus raffinés, les plus élégants. C’est du moins l’idée morale que je me fais de la culture. Il vous faudra aller dans ce sens avec la seule force de votre conviction. Voilà la plus belle légitimité de votre travail futur.»


Emmanuel Cros
( Mis en ligne le 01/07/2004 )
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