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Au source des modernités classiques | | | Alexander Tzonis Phoebe Giannisi Architecture grecque classique - La construction de la modernité Flammarion 2004 / 75 € - 491.25 ffr. / 279 pages ISBN : 2-08-011089-6 FORMAT : 25x33 cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Cros étudie larchitecture au Bauhaus de Weimar en Allemagne. Imprimer
Alexander Tzonis et Phoebe Giannisi livrent un ouvrage danalyse approfondi, dune vraie érudition, sur larchitecture grecque classique. La méthode scientifique dobservation des subsistances des constructions et des sites, et l'examen des descriptions dans les textes antiques, grecs et romains, constituent une étude très fouillée. Ces sources sont enrichies dune documentation exceptionnelle de relevés archéologiques et dimages de la première moitié du XXe siècle, avant que le tourisme noccupe les sites. Le choix de reproduction en héliogravure magnifie les photographies pierreuses et ciselées dun Serge Moulinier, les vues amples et justes dun Frédéric Boissonas. Lexcellence de liconographie est un miroir exact de la rigueur documentaire de ce livre.
Les auteurs réexaminent larchitecture grecque ancienne dans ses traces visibles avec un regard distancié et interrogatif sur toutes les interprétations et reconstitutions successives des siècles passés. La mémoire sélective des Grecs eux-mêmes, l«usage extensif du système» par les Romains puis la Renaissance européenne ont valu des réécritures différentes de lantiquité. Nombreuses sont les idéologies qui ont projeté leurs ambitions sur ces architectures et tenté des résurrections des formes grecques pour régénérer leurs époques. Si ces architectures aujourdhui encore nous captivent, cest pour les raisons non complètement révélées de leur création.
Tzonis et Giannisi sattachent à expliquer les processus dengendrement de ces bâtiments, et leurs vocations dans leur époque. La dénomination «classique» recouvre le «moment où les relations entre des catégories régionales préexistantes aboutirent à un système universel de pensée architecturale» (p.41). Le canon classique est donc constitué par un système une poétique de lespace appliqué méthodiquement à la planification de tous les édifices. Ce canon est devenu «institutionnel» au fil des réalisations, synonyme de «style pur», base dun modèle normatif pour une diffusion large. Les «ordres» dorique, ionique, corinthien sont des «genres» distincts et parfois combinés dun même système global. Larchitecture grecque classique «élabora un système de représentation du monde social et naturel, fondé sur des normes (
) elle touche à la créativité, à lintelligence et à la capacité des hommes, dans leur identité communautaire, à interpréter et à bâtir le monde.» (pp.9 et 13)
Les Grecs, comme «techniciens cosmopolites», ont énormément emprunté aux cultures étrangères et réinterprété les influences extérieures, habiles à «préserver un équilibre fragile entre les forces de la tradition et les instincts compétitifs de leur culture» (p.21), soucieux dinnovation, dingéniosité et dexcellence plus que davant-garde et dauthenticité. «Pour des communautés aussi curieuses, ouvertes et compétitives que les Grecs dalors, cétait chose commune déchanger des informations, de critiquer et dapprendre de façon «transdisciplinaire» (pour emprunter une expression contemporaine).» (p.202). Larchitecture sinformait de la sculpture, de la poésie, du théâtre, de la rhétorique, de la musique et inversement. Les auteurs montrent combien il sagit, dans lhistoire, de lune des premières manifestations dune architecture savante de cette ampleur, voyant naître là des traits de modernité.
Tzonis et Giannisi insistent sur «linteraction entre divers modes de construction au sein dun même système dintelligence spatiale. Cette grande trouvaille de larchitecture grecque» (p.29). De la notion primordiale de système basé sur une structure hiérarchique récursive, avec des niveaux combinés, découle la nette «catégorisation des édifices», fondatrice de types de bâtiments, qui témoigne de «leffort obsessionnel de la culture grecque visant à identifier des objets» (p.193). «Lobjet-édifice (
) est conçu et construit au moyen dune hiérarchie déléments gigognes» (pp.203 et 211) basée sur le rapport entre ces éléments et la gradation des parties, à linverse dune méthode arithmétique de définition. Lordonnance enfin naît de lemplacement et de la configuration, virtuosités de ces concepteurs de lantiquité. Les Grecs construisaient avant tout des objets mentaux, usant des concepts de composition et de déconstruction, des notions de commencement et de fin.
Cet ouvrage révèle une exceptionnelle compréhension architecturale du monde grec, savante de lhistoire. Alexander Tzonis, professeur émérite aux multiples domaines dinvestigation, remarque au sujet des apports à son analyse que «beaucoup dautres idées proviennent de [ses] recherches sur la Renaissance et le classicisme du XVIIe siècle.» (p.11). La synthèse quil propose avec Phoebe Giannisi démontre que larchitecture grecque classique a conservé une capacité à nourrir les recherches de la modernité. Car «voilà pourquoi les formes antiques, même si elles nous parviennent sous forme de fragments disjoints, sont si émouvantes, si palpitantes : elles reflètent le système dintelligence spatiale qui les engendra jadis.» (p.41).
Emmanuel Cros ( Mis en ligne le 15/03/2005 ) Imprimer | | |
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