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Source d’architecture
Peter Zumthor   Sigrid Hauser   Hélène Binet   Therme Vals
Editions Infolio 2007 /  68 € - 445.4 ffr. / 191 pages
ISBN : 978-2-88474-572-7
FORMAT :  24,5cm x 30,5cm

L'auteur du compte rendu : Emmanuel Cros est diplômé du Bauhaus de Weimar en Allemagne. Il exerce comme architecte libéral à Paris.
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En Suisse, au profond du canton des Grisons, le village de Vals s’étire dans une étroite vallée à 1250 m d’altitude. On y capte une eau ferrugineuse à 30°C, exploitée par les premiers thermes à partir de 1893. Cette activité connaît depuis une décennie un renouveau spectaculaire au rayonnement mondial grâce à un projet de développement d’initiative communale d’un nouvel établissement de bain commencé autour de 1986. Les revenus de la redevance du barrage hydroélectrique situé en amont, construit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont assuré le financement de cette opération ambitieuse.

Dix ans après les premières esquisses, les thermes de l’architecte Peter Zumthor ont ouvert en 1996, pour être classés monuments historiques deux ans plus tard! Il transpire de cette construction quelque chose d’intemporel rappelant la monumentalité de certaines créations antiques, grecques ou romaines, ou les galeries des sépultures égyptiennes. Car il s’agit d’un travail d’architecture «presque exclusivement consacré à l’espace intérieur» (p.137) pour un bâtiment à demi souterrain, une masse compacte de pierre où la pelouse d’alpage vient recouvrir tout le toit plat. Ce «monolithe artificiel» (p.100) est la pétrification de l’agencement savant en «une mosaïque à trame orthogonale» (p.68) de quinze blocs «orientés les uns par rapport aux autres selon le principe du moulin à vent» (p.95) pour former un espace interstitiel labyrinthique, scandé d’échappées visuelles vers les pentes et les sommets de l’ubac qui se dressent en face. Le bâtiment offre une multitude de séquences non hiérarchisées que l’on découvre au gré des déambulations ; «un grand continuum spatial, un espace que je perçois comme un tout dès que j’y pénètre mais que je ne peux jamais englober du regard» (p.38).

Peter Zumthor rapporte les intentions initiales: «En imagination, nous avions commencé à creuser la pente du terrain à construire devant l’hôtel à la manière d’une carrière, en avions extrait d’immenses blocs et fait apparaître d’autres» (p.38). C’est aujourd’hui par un corridor souterrain que l’on parvient dans les thermes depuis l’hôtel. Les blocs qui sont en fait des masses évidées renouvellent ce dispositif discret de l’entrée rétrécie que l’on emprunte pour s’immerger à l’intérieur dans un bain chaque fois différent, «des chambres intimes» (p.96) qui réservent des surprises sensorielles et vous gratifient de «l’expérience primaire et silencieuse du bain» (p.61). Comme une grille d’un cruciverbiste expert, le plan parfaitement réglé varie dans ses cases noires autant qu’il recèle de trouvailles croisées. Dans ce «système de cavernes géométriques» (p.32) de tailles variables, le bloc forme un pilier porteur qui soutient une dalle de toiture en porte à faux tendue vers un autre bloc adjacent.

Tout y est mis en œuvre pour produire un effet physique, une présence sensible, d’où l’expression de «crédibilité constructive» (p.104) : «L’édifice a l’air simple. La complexité est dans la masse» (p.110). Cette sobriété apparente est le résultat d’une intégration sophistiquée de toutes les nécessités de la construction dans des détails extrêmes. Les jours de quelques centimètres entre les dalles du toit par exemple révèlent toute la tectonique de l’ouvrage par les rais de lumières qu’ils laissent filtrer à l’intérieur. La constitution du bâtiment est délibérément pensée pour la perception par le visiteur de ces détails aux pouvoirs d’émotion. Les «dalles de pierre de Vals superposées en trois couches de différentes épaisseurs» (p.92) qui enveloppent tous les volumes sont empilées selon un rythme irrégulier qui créé l’illusion d’une stratification véritable, celle d’un bâtiment tout entier creusé dans la roche éternelle.

Le gneiss de Vals aux «nuances infinies des tons de gris» (p.24), «passant du verdâtre au bleuâtre» (p.60) est extrait en amont dans une carrière à ciel ouvert à l’extrémité du village. En 1986, l’entreprise Truffer SA s’y est équipée pour la première fois d’une scie à pierre pour celle que jusqu’alors on délitait. La découpe permet dès lors de débiter à souhait des blocs anguleux à bâtir et dévoile de nouveaux aspect de surface de la matière. Par coïncidence, l’architecte, déjà à ce moment-là, recherche le matériau capable de structurer le bâtiment dans son entier. Il a l’intuition des vastes possibilités du nouveau traitement de cette ressource locale et va travailler à en chercher l’appareillage idoine, et jouer de la face «brisée, délitée ou polie» (p.60). Cet emploi unique et généralisé à toute la construction de la pierre de Vals qui apparaît aujourd’hui d’une telle évidence ne fut gagné qu’avec persévérance et persuasion, car il fallu faire accepter cette «pierre autochtone» (p.60) aux acteurs du projet, pourtant «originaires» du lieu. Depuis, les thermes ont fait de cette pierre à couvrir autrefois les toits des maisons un matériau qui s’exporte.

Ce livre retranscrit méticuleusement l’élaboration du projet et précise des points clés de l’œuvre tels que les choix de mise en œuvre de la pierre. Sont réunis ici de nombreux textes de différents auteurs mis bout à bout avec précision, sans césure marquée, dont plusieurs sur le thème des bains à travers l’histoire et les civilisations. Peter Zumthor signe des contributions pointilleuses comme ses constructions sont absolues, dont le style reflète le calme et la maîtrise qu’inspirent les vues de la réalisation et le bâtiment lui-même. Cette application étonnante à construire une architecture opère dans toutes les étapes du projet, ce que montrent les quelques lignes où Peter Zumthor note les observations qu’il fit avec ses collaborateurs lors de leur première visite pour l’étude du site (Cf. pp.24-25). Elles racontent l’essentiel et le trivial, comme s’ils avaient découvert ce lieu sans peut-être jamais l’avoir vu auparavant, alors que leur agence est basée à Chur, dans la vallée en contrebas…

L’ouvrage est sobre, sans jaquette, austère presque, et pourtant très raffiné. La typographie en gris pierre sur papier épais, les photographies silencieuses d’Hélène Binet, tirées en pleines pages et les esquisses dont on a pris soin de conserver la couleur du papier, ses plis et ses découpes exaltent les subtilités de cette création architecturale. Les dessins au crayon, au fusain, au pastel ou à la craie grasse sont des archives exceptionnelles reproduites avec beaucoup d’attention. Presque toutes les photos, magnétiques et mystérieuses, sondent l’espace en méandre entre les blocs. Mais de tous les bains à l'intérieur des cavités, seul le «bain de feu» (42°C) nous est montré. Il est un peu dommage que le livre n’expose pas non plus le chantier et les photos qu’il cite à ce sujet, notamment celles de «Henry Pierre Schultz qui a documenté les différentes phases du chantier, depuis le creusement du terrain jusqu’à l’inauguration» (p.168).

Les thermes de Vals sont un «solitaire», un parallélépipède compact qui s’organise à l’intérieur en blocs distincts intelligemment placés les uns par rapport aux autres, de la même manière qu’il ordonne les bâtiments alentours, «s’impose souverainement sans se faire remarquer et donne à ses voisins un air et un rayonnement nouveaux» (p.31). L'architecte Peter Zumthor écrit avoir tenté de «parvenir à un édifice qui soit perçu comme antérieur aux immeubles voisins qui pourtant le précèdent, comme s’il avait toujours fait partie du paysage» (p.57).

Les thermes tout de pierres sont excavés dans la roche par une sorte d’inspiration labyrinthique (n’est-ce pas là un trait qui rapproche indubitablement cette réalisation du projet de Danteum de l’architecte Guiseppe Terragni de 1938 ?) où l’eau et les vapeurs illuminent les clairs-obscurs et baignent les contre-jours comme la pénombre tire à l’or son éclat. L’association intense matière-lumière-présence hisse ce projet à un état de perfection et de primitif mêlé. Il en est ainsi un bâtiment des plus évocateurs, une sorte de rêve dans l’imaginaire collectif de quantité d’architectes qui le désigneraient sans doute comme la plus charismatique des créations de l’architecture en Suisse des dix dernières années. Les thermes de Vals sont une étape de pèlerinage d’un Grand Tour contemporain.


Emmanuel Cros
( Mis en ligne le 22/01/2008 )
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