|
Beaux arts / Beaux livres -> Histoire de l'art |
| Elie Faure Histoire de l'Art - Edition intégrale Bartillat 2010 / 30 € - 196.5 ffr. / 1143 pages ISBN : 978-2-84100-483-6 FORMAT : 13,5cm x 20cm
Préface de Dominique Dupuis-Labbé Imprimer
Une «histoire», vraiment ? Nest-ce pas plutôt un immense chant que composent ces quatre volumes ? Un hymne, dédié à ce qui, depuis la nuit des temps, permet à lhomme de frôler léternité : lart.
La somme quÉlie Faure consacra entre 1909 et 1923 à ce sujet inépuisable est, de son propre aveu, luvre dun autodidacte que les chercheurs actuels ont tendance à ignorer, ceci expliquant peut-être cela. Le projet lui en aurait été inspiré par les conférences quil fut appelé à prononcer dans le cadre de lUniversité Populaire de Paris, à lépoque où, jeune médecin déjà politiquement engagé (il prit ardemment parti pour Dreyfus, et bien plus tard pour lEspagne républicaine), il caressait lidéal de nourrir les masses laborieuses avec du savoir.
Le résultat sapparente à une «narration polyphonique» comme le fait très justement remarquer Dominique Dupuis-Labbé dans sa préface ; un essai-fleuve, émaillé de tableaux grandioses, danalyses passionnées, davis toujours émis avec ferveur dans une langue comme on nen trouve hélas plus guère. Pas étonnant que ce docteur doublé dun esthète entretint une correspondance avec cet autre enragé du style quétait son confrère Louis-Ferdinand Céline ; sans doute est-il même un autre terrain sur lequel ces deux-là se rencontraient, à savoir leur conception de lenthousiasme, ce «Dieu en nous» dont lauteur de Mort à crédit se plaisait souvent à rappeler létymologie grecque.
La religion dont Faure se veut le prosélyte repose exclusivement sur le culte quil voue à lart. De ce besoin fondamental découlent selon lui toutes les adorations de lhomme ; là convergent toutes ses interrogations tragiques et toutes ses tentatives de réponses, des plus élémentaires aux plus élaborées. La silhouette dun chasseur esquissé sur les parois des grottes dAltamira, une pyramide égyptienne, une croisée dogive, les Ménines de Vélasquez ou un paysage de Cézanne semblent porter en germe, dans leur nucleus, une commune ambition : ancrer dans le flux inexorable du temps lesprit dune civilisation à un moment bien précis de son développement (naissance, apogée ou déclin), bref atteindre à labsolu.
À linstar du plus exigeant des fresquistes, Faure ne sera jamais pleinement satisfait du résultat final de sa titanesque entreprise. Il est même amusant de constater avec quelle aisance il se dénigrait. Ainsi en 1923, il avertit le lecteur : «Je suis puni cruellement de lempire presque absolu que lart grec a longtemps exercé sur moi en constatant que les chapitres où je létudie dans ce livre sont les plus mauvais de mon ouvrage. Cependant, jaime trop lHistoire pour les effacer. Je laime comme on aime une femme. Elle me fait souffrir, douter delle et de moi-même». Il se dégage de ces phrases, dignes dun écrivain ou dun romancier plutôt que dun essayiste, une modestie fraîche qui tranche avec la suffisance des spécialistes pisse-froid juste bons à professer en chaire et à se congratuler entre pairs. Faure écrit son épopée de lharmonie comme un Dumas ou un Rosny Aîné enlevaient leurs romans historiques. Il ne peut sempêcher dinscrire les statues, les toiles et les monuments quil évoque dans le milieu dont ils semblent lémanation suprême ; les portraits dartistes quil campe sont quant à eux galvanisés par une énergie qui revitalise des figures que les manuels scolaires ou les encyclopédies ont muséifiées. En témoignent par exemple les lignes consacrées à Breughel. Lévocation de lunivers propre au peintre y est intrinsèquement mêlée à lévocation de son existence, de son tempérament supposé, de ses voyages, de ses influences, etc., ce qui aboutit à procurer lillusion quen trois pages, nous avons accès à tout Breughel, en tout cas à la substance de son génie. Et il en va de même quand Faure aborde les cathédrales, Goya ou telle école italienne.
Le discours faurien est-il encore lisible aujourdhui que lart sest mué, dans le sillage du geste fatal de Duchamp, en cette recherche effrénée du quart dheure de scandale et de gloire, cette subversion facile, cette esthétisation grotesque du rien, cette Chapelle Sixtine version manga ? Pas sûr
Faure ravira, dans tous les sens du terme, ceux qui ont conservé cet il intérieur, tourné à la fois vers le monde et leur âme, ainsi quun certain respect de la Forme. À sy ressourcer, ils auront vite compris que, malgré son épaisseur et sa masse, ce livre nest pas un pavé, mais bien une pierre dangle.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 21/03/2011 ) Imprimer | | |
|
|
|
|