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Une histoire du métissage | | | Nelly Schmidt Histoire du métissage La Martinière 2003 / 35 € - 229.25 ffr. / 223 pages ISBN : 2-7324-3047-1 FORMAT : 19x25 cm
L'auteur du compte rendu: maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université de Paris-I, Sylvain Venayre a récemment publié La Gloire de l'aventure. Genèse d'une mystique moderne.
1850-1940 (Aubier, 2002). Imprimer
Attention : beau livre ? La prévention des historiens contre les livres dimages pourrait jouer contre lHistoire du métissage proposée ici par Nelly Schmidt. En dépit de réussites passées ou récentes quon songe aux superbes ouvrages de Georges Duby et de Jean Delumeau , lhistorien reste en effet mal à laise face aux livres illustrés. Si certaines entreprises semblent à ses yeux justifiées, dans la mesure où le corps du texte y est principalement constitué par lanalyse des images proposées (cest le cas des livres de Michel Pastoureau, par exemple, mais aussi de réussites plus ponctuelles telles que Les Figures de la guerre dHélène Puiseux, dans la très bonne collection «Le Temps des images» aux éditions Gallimard), il nen va pas de même de livres qui associent un texte et des images sans que le premier soit explicitement lié, par lanalyse, aux secondes. Le genre, en dépit de quelques belles réussites (les livres des éditions Textuel, par exemple, pour lesquelles ont travaillé Duby, Le Goff, Chartier, Perrot ou Corbin), reste suspect, identifié à ce que la production des manuels de lenseignement secondaire a de pire : des images qui ne viennent quillustrer un propos, sans jamais permettre de laffiner, sans lui donner de plus-value autre que le simple plaisir de lil.
A ce titre, le scepticisme des historiens pourrait être dautant plus grand que léditeur de cette Histoire du métissage, Hervé de la Martinière, na pas dexpérience dans le domaine de lhistoire universitaire et que les clés de son succès résidaient précisément jusquà présent dans le seul plaisir de lil procuré par le «beau livre». La tentation serait grande, alors, décarter préalablement louvrage de Nelly Schmidt, au nom de la défense de lhistoire scientifique et du rejet de la trop belle image.
On aurait tort. Une histoire de métissage de Nelly Schmidt inaugure en effet, aux éditions de la Martinière, une collection dirigée par Alain Corbin qui vise précisément à réconcilier les exigences de la recherche universitaire et lintérêt que peut apporter, dans le récit historique, le livre illustré. Le choix de Nelly Schmidt et le sujet du premier titre servent ainsi de caution à lentreprise. Chercheuse au CNRS, Nelly Schmidt est en effet une grande spécialiste de lhistoire de lesclavage on lui doit une biographie de référence de Victor Schoelcher aux éditions Fayard et du monde caraïbe. Lhistoire du métissage quelle propose ici sappuie sur ses travaux antérieurs et témoigne de sa parfaite connaissance de lhistoire de lesclavage, quelle met au profit dune réflexion plus globale sur la notion de métissage une notion qui, on en conviendra, est en parfaite adéquation avec le principe du livre illustré : quest-ce qui appelle davantage limage quune réflexion sur le mélange des races ?
De la figure du métis dans lAntiquité à la promotion récente du métissage comme antidote aux passions racistes du passé, en passant surtout par une étude fouillée de la période-clé de cette histoire du métissage disons entre 1750 et 1960 , le livre de Nelly Schmidt propose ainsi un panorama complet dune histoire jusquici non faite. On y croise quelques figures attendues, de Victor Schoelcher à Nelson Mandela, et quelques zones géographiques nécessairement privilégiées, des Caraïbes au Brésil. On y trouve également nombre de faits bien moins connus, telle lhistoire des «Black Seminoles», métis installés en Floride, en Oklahoma, au Texas, au Mexique et au Bahamas, descendants mêlés desclaves fugitifs des plantations de Caroline du Sud et de Géorgie et des Indiens Séminoles auprès de qui ils avaient trouvé refuge (le terme lui-même vient de lespagnol cimarron, et désigne les esclaves enfuis des plantations). Trois guerres les opposèrent aux troupes des Etats-Unis (en 1819, 1838-42 et 1855-58). Réfugiés dabord dans la région réputée impénétrable des Everglades en Floride, ils émigrèrent au Mexique (où lesclavage était aboli depuis 1829) dès les années 1850, fuyant à la fois le gouvernement des Etats-Unis et les Indiens Creeks qui prétendaient les soumettre en esclavage. Dans le Mexique de ces temps troublés, ils furent chargés de la surveillance de la frontière. En 1870, certains dentre eux sinstallèrent au Texas, où ils formèrent le détachement des «Seminoles Negro Indians Scouts», chargés de faciliter létablissement des colons blancs malgré la résistance des Comanches et des Apaches ! Une émouvante photographie de la fin du XIXe siècle, représentant des Indiens Séminoles de Floride, accompagne le texte de cette incroyable odyssée des «Black Seminoles» au XIXe siècle.
On peut sans doute être agacé par certains aspects de louvrage. Etait-il utile de répéter si souvent que la notion de race na pas de fondement scientifique et que, de ce point de vue, le métis est dabord une représentation de lautre ? A le faire si souvent, Nelly Schmidt semble dévaloriser son lecteur, à qui une simple profession de foi au début de louvrage, pour ainsi dire annonçant la couleur, aurait amplement suffi. Quelques erreurs nuisent également à la solidité incontestable de lensemble : Chateaubriand na pas voyagé en Amérique en 1822, mais trente ans auparavant. Surtout, si lon ne peut quêtre séduit, la plupart du temps, par le choix de liconographie et par la judicieuse insertion des images dans le corps du texte, il est un peu regrettable que, au fil dun récit globalement chronologique malgré une division de louvrage en chapitres thématiques, il suit à peu près lhistoire de la représentation du métis depuis lAntiquité certaines illustrations soient très anachroniques, à limage de ce tableau du XIXe siècle censé illustrer les indigènes qui entouraient Colomb à ses retours du Nouveau-Monde à la fin du XVe siècle.
Ce sont là des péchés véniels. Le pari de louvrage était immense : couvrir en lillustrant, sur le temps long, une histoire qui na jamais vraiment été faite. Il est gagné. Le résultat est impressionnant, qui tient tout autant à la culture maîtrisée de lauteur quau mariage ici heureux du texte et de limage.
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 16/10/2003 ) Imprimer
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