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Art de vivre  ->  Art du jardin  
 

Quand la nature devient un chef-d'oeuvre
Jean-Pierre Babelon   Jean-Baptiste Leroux   M. Chamblas-Ploton   Jardins à la Française
Imprimerie nationale 1999 /  90.08 € - 590.02 ffr. / 297 pages
Redouté 2000
ISBN : 2-7433-0336-0
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Jacques Boyceau, sieur de la Barauderie et intendant des jardins du roi Henri IV, signe le premier livre consacré à la conception des jardins en France: le Traité du Jardinage selon les raisons de la nature et de l'art. L'ouvrage paraît en 1638 et présente des idées de composition de grands jardins aristocratiques en France. Il propose également des modèles de parterre de broderie et de bosquets et invite les grands seigneurs à se consacrer à ce domaine. La nouvelle politique qui tend à rendre les aristocrates à leurs terres pour les éloigner des gloires acquises sur les champs de bataille favorise le développement de ce domaine qui acquiert rapidement un nouveau statut. L'art des jardins se hisse au rang des beaux-arts et la fonction d'architecte des jardins voit le jour.

L'Imprimerie Nationale convie ici le lecteur à une déambulation depuis les premières années du classicisme français jusqu'aux productions du début de notre siècle dans une nature revisitée par l'intelligence créatrice. De Boyceau à Claude Mollet, de l'école des jardiniers des Tuileries jusqu'à la distinction de Le Nôtre, une nouvelle génération de jardiniers voit le jour et prépare l'avènement de ce qui reste à travers les siècles la référence ultime à la grâce et au savoir-faire: le jardin à la française.

Le jardinier latin, c'est le toparius, celui qui maîtrise la nature, lui imprime une forme et la fait participer à un projet d'ensemble. C'est dire si ce jardinier est proche de l'architecte. De celui qui oeuvre pour ordonner le chaos et lui imprimer une forme. Inspiré des "jardins de l'humanisme" italiens, comme ceux des villas Médicis en Toscane, ou encore de l'assemblage de terrasses et de parterres dominant la baie de Naples à Poggio Reale, influencé par les impératifs antiques qui tendaient à concilier mythologie et organisation rationnelle de la nature, le jardin à la française va pourtant se développer de manière unique et personnalisée.

L'ouvrage Jardins à la française rappelle que la spécificité nationale se manifeste d'abord par les liens entre châteaux et jardins: ceux-ci ne cohabitent pas de manière juxtaposée mais constituent une véritable unité organique. Axe unique, disposition des carrés jardinés, composition symétrique, mise en perspective des miroirs et canaux: le château est ce qui donne du sens au jardin dans toutes les acceptions du terme. Il l'oriente, le justifie. Il en est le point de départ et le point d'arrivée. Le visiteur ne peut que saisir l'ensemble comme une unité harmonique. Le jardin suit donc les modifications du château: l'abandon de la forteresse, puis du plan en quadrilatère, le plan en fer à cheval et enfin le plan en barre transforment l'organisation du jardin et favorisent la mise en place de l'axe majeur autour duquel les divers éléments vont se mettre en place.

Parallèlement, la composition italienne, qui s'appuyait sur les collines et les dénivelés, va être adaptée aux surfaces planes propres à l'Île-de-France et à la région de la Loire. Mansart puis Le Nôtre déterminent enfin les dernières caractéristiques du jardin à la française en éliminant ce qui était susceptible de fermer la perspective: l'espace reste ouvert, l'horizon s'ouvre sur l'infini, reflété par les eaux dormantes des miroirs. Ainsi, à Versailles, le recours aux fossés invisibles, sauts-de-loup et "ha-ha", permet au regard de glisser depuis Trianon jusqu'à la plaine de Gally et de présenter la nature environnante à partir du jardin royal.

Traditionnellement, les tapis jetés devant le château -les parterres- sont conçus sur le modèle de la broderie. Leur complexité varie, comme autant d'énigmes et de figures à interpréter. Mais les déliés, le jeu de palmettes et d'entrelacs, dépassent bientôt les deux dimensions primitives dans lesquelles elles étaient contenues. Les ifs taillés viennent dialoguer avec les parterres, comme autant d'accents verticaux au sein d'un mélodie trop linéaire. Le jardin à la française introduit la profondeur, avec la percée des axes et des perspectives, les bosquets et les théâtres d'ombre. Et surtout, par sa savante organisation, il introduit le temps, ultime dimension de l'esprit, lorsque le regard est happé avec méthode par des éléments organisés pour accompagner la vision et scander la saisie ses sens. Trop souvent assimilé au règne de la symétrie et de la régularité, les jardins à la française ne s'apprécient qu'au fil de la promenade. Lorsque le regard célèbre les épousailles de l'espace et du temps. Car la symétrie n'existe que par le jeu des miroirs qui reflètent le ciel et les palissandres, la régularité s'éprouve par la durée propre des treilles et galeries. L'ordre n'est pas monotonie. Chaque élément n'existe que par la place qu'il occupe dans un espace symphonique. C'est de cette diversité harmonieuse que peut émerger la beauté et la grâce, qualités premières de la muse Hortésie. "Les jardins les plus variés seront trouvés les plus beaux", rappelle Boyceau.

Le jardin présente donc autant de physionomies qu'il y a des manières de penser, de se divertir et de vivre. Conjugaison de l'art et de la nature, dialogue sans cesse renouvelé entre l'ingéniosité et la force des éléments, le jardin à la française s'impose comme l'ultime victoire de l'esprit sur la matière. De l'ordre géométrique sur la prodigalité. Que l'on se remémore la métamorphose d'un rocher en nymphe dans la scénographie du ballet donné le 17 août 1661 à Vaux par l'imprudent Fouquet: le jardin est le lieu où la continuité des différents règnes s'organise autour d'un monde pensé dans son unicité. Une nature maîtrisée où tout est symbole et signifie au promeneur que l'humain a su triompher de la malédiction biblique. Si Lucien Corpechot définissait en 1912 les jardins à la française comme "les jardins de l'Intelligence", cela ne se comprend que dans l'association essentielle voulue par Le Nôtre ou La Quintinie entre l'intelligence et les sens. Plaisir de voir, de sentir, de toucher autant que d'imaginer, de concevoir et d'interpréter.

Jean-Pierre Babelon, membre de l'Institut, a été durant sept ans Directeur général du Musée et du Domaine national de Versailles. Il livre à Mic Chamblas-Ploton, journaliste spécialisée dans les parcs et jardins, ses connaissances et les secrets de cet univers fabuleux qui reste à tout jamais le critère du bon goût et d'une technique hissée à la dignité des beaux-arts. Le faste de ces jardins se présente à partir de thèmes dégagés par l'esprit avisé du spécialiste, du songe de Vaux au plaisir superbe de forcer la nature. Les paysages choisis viennent s'articuler à partir de ces thématiques, comme autant d'évocations qui forcent les mots et rappellent la magie de ces lieux mythiques. Jamais le texte n'est séparé de ce qui lui donne son origine et lui confère son sens. Jamais les photographies de Jean-baptiste Leroux ne sont qu'illustratives.

Les auteurs ont soigneusement évité la facilité qui aurait consisté à suivre un ordre alphabétique ou chronologique, inapte à rendre compte du principe même qui préside à l'orchestration de ces jardins. L'harmonie qui se dessine entre les deux renvoie à cette mélodie caractéristique qui relie jardins et châteaux, eaux et végétation. Chaque page parle de ces hommes qui ont su transfigurer le monde afin de le rendre plus intelligible. De ce mélange subtil où nature et art se mêlent et conspirent afin que la beauté exalte les formes et transcende l'intelligence. Un parcours initiatique à travers ce que l'homme a de plus précieux: sa jouissance esthétique.


Véronique Godfroy
( Mis en ligne le 21/06/2000 )
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