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''Tout est perdu, fors l'honneur''
Arturo Pérez-Reverte   Un jour de colère
Seuil - Points 2009 /  7,50 € - 49.13 ffr. / 398 pages
ISBN : 978-2-7578-1514-4
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication française en octobre 2008 (Seuil)

Traduction de François Maspero.

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Une petite devinette pour commencer : quel est le point commun entre Un jour de colère d'Arturo Pérez-Reverte, Ulysse de Joyce, Mrs Dalloway de Virginia Woolf, The Hours, le roman de Michael Cunningham et le film de Stephen Daldry, la série 24 heures chrono, et Bérénice, la tragédie de Jean Racine ? Chacun de leurs auteurs narre ou filme, pour une raison ou pour une autre, une histoire dont la durée n'excède pas 24 heures. C'est précisément une isochronie la plus exacte possible entre temps du récit et temps de l'histoire, pour reprendre les termes de Gérard Genette, qu'Arturo Pérez-Reverte a tenté de réaliser dans son nouvel ouvrage : narrer les événements d'une seule journée, heure par heure, voire minute après minute, dans leurs moindres détails, sans aucune ellipse, rendre compte de tout ce qui s'est passé simultanément aux quatre coins d'un même lieu.

La journée retenue est cruciale dans l’histoire de l’Espagne : il s'agit du 2 mai 1808, date à laquelle le peuple de Madrid se souleva contre les armées impériales de Napoléon Ier, marquant ainsi le début d'une guerre qui allait durer six années ; cette journée est restée célèbre sous le nom de «Soulèvement du Dos de Mayo». A l’origine de ce livre, le projet d'Arturo Pérez-Reverte se caractérise par la volonté originale d’échapper aux classifications génériques traditionnelles : il ne s’agit ni d'écrire un roman historique, ni de composer un essai d'analyses événementielles. Avant même de nous laisser entamer la lecture de l’ouvrage, un avertissement nous prévient : «Ce récit n'est ni une fiction, ni un livre d'Histoire». L'auteur, à partir d'un travail minutieux de consultation des archives disponibles sur cette journée, s'est lancé dans le récit circonstancié et extrêmement précis des événements survenus à Madrid, de 7 heures du matin à 5 heures 4 minutes, heure à laquelle se lève l'aube grise du 3 mai 1808. Il n'y a donc pas de protagonistes, si ce n'est le peuple madrilène. Nous sommes invités à suivre chacun de ceux qui ont écrit l'histoire de l'Espagne ce jour-là, anonymes, simples noms restés inscrits dans un quelconque registre, ou bien encore personnalités célèbres (Leandro Fernández de Moratín, ou Goya, qui immortalisera lui-même ces événements dans son œuvre).

En mettant volontairement un frein à son imagination de romancier, Pérez-Reverte se contente de dénombrer les Madrilènes présents sur les lieux, de décliner leur identité lorsqu'elle est connue, leur âge, leur profession, leur origine géographique, leur destin (annoncé par un effet de prolepse lorsque leur sort ne les condamne pas à mourir le jour même), et de lier chronologiquement leurs différents faits et gestes. Un plan de Madrid en 1808 nous permet de suivre pas à pas l'itinéraire de chacun d'entre eux. L'on s'aperçoit ainsi que c'est un peuple composite et hétérogène qui s'est lancé dans la bataille ce jour-là : hommes, femmes, enfants, armés de couteaux, de ciseaux ou de n'importe quelle autre arme, poussés à bout par la présence méprisante de l'ennemi, fiers de leur pays et résolus à venger leur honneur, quitte à payer de leur vie. Certains ne passent qu'un bref instant, le temps de recevoir une balle française, d'autres reviennent dans le récit de manière récurrente, parfois pour disparaître à leur tour.

Ce livre revendique avant tout la volonté de leur rendre hommage, de les tirer de l'oubli pour raviver le souvenir de leur courage héroïque. Il s'agit de rendre justice aux classes populaires, montées au front de manière souvent désordonnée et inconsciente, mais la plupart du temps enthousiaste et gaie, pour défendre un honneur national. «Un moment, nous avons semblé être une nation. Une nation fière et indomptable», conclut l'un de ces combattants. Ce moment, avorté au soir du 2 mai, donnera pourtant lieu à un vaste mouvement de reconquête. L’auteur revêt ici l’ethos du chroniqueur d’épopée, au sens d’histoire collective. Mais il s’agit également de montrer comment se construit l’Histoire, selon quelles causes directes et indirectes, quels acteurs orientent le destin d’une nation : ainsi, l’auteur insiste sur l’ignorance et la brutalité d’un peuple dont la colère incontrôlable explose à partir d’une rumeur (le départ pour Bayonne de l’infant François de Paule, sous la pression de Napoléon), et qui offre sa vie pour des rois corrompus et faibles qui ne le soutiennent pas. La description des massacres permet de retracer crûment la sauvagerie de ce jour commémoré aujourd’hui.

Toutefois, ce double refus de faire œuvre d'historien et de romancier semble aboutir à une double aporie. L'intérêt documentaire, outre la réflexion sur la brutalité de l’événement, se limite à la perspective d'une liste de noms, comme celles que l'on pourrait lire sur un monument aux morts, et ne nous permet d'apprendre somme toute que peu de choses sur cette journée. Pérez-Reverte se borne à nous décliner avec précision quel Madrilène ou quel Français meurt où, et de quelle façon, qui a été égorgé, traversé par une balle, fendu d'un coup de sabre, etc. Ces dénombrements lassent en réalité très vite.

D'autre part, le refus du romanesque, assumé dans l'avertissement au lecteur donné au seuil du livre («L'auteur se borne à réunir dans une histoire collective un demi-millier d'histoires particulières consignées dans les archives et les livres. La part de l'imaginaire se réduit donc à l'humble tâche de cimenter entre elles les pièces du dossier») ne brime pas seulement l'imaginaire de l'auteur ; il brime également notre intérêt pour un texte qui s'alourdit et perd en intensité dramatique ce qu'il gagne en précision descriptive. Il nous semble que, sans rien inventer, sans falsifier son récit par l'intrusion parasite d'éléments imaginaires, Arturo Pérez-Reverte aurait pu nourrir un récit plus ambitieux d'un double point de vue romanesque et historique et ne pas se limiter à une telle énumération, qui devient très rapidement monotone.


Françoise Poulet
( Mis en ligne le 13/04/2010 )
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