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Poches -> Littérature |
| Mohammed Hanif Attentat à la mangue 10/18 - Domaine étranger 2011 / 8,90 € - 58.3 ffr. / 440 pages ISBN : 978-2-264-05161-5 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication française en Août 2009 (Éditions des Deux Terres)
Traduction de Bernard Turle Imprimer
En août 1988, lavion du Général Zia, président du Pakistan, sécrase dans de mystérieuses conditions. Cet événement, dont les détails ne sont toujours pas élucidés à ce jour, sert de point de départ (et darrivée) au formidable premier roman du journaliste pakistanais et ancien pilote de larmée de lair Mohammed Hanif, Attentat à la mangue, déjà traduit dans 13 langues et récemment couronné par le Prix Commonwealth.
Le mystère laisse toute latitude à limagination de lécrivain : omniprésente en filigrane, la grande histoire cède rapidement la place à une version fictionnelle et jubilatoire des événements qui ont préludé à «laccident». Lintrigue entrecroise dune part des scènes de la vie (y compris extra-conjugale) du prince paranoïaque, superstitieux, miné par les problèmes intestinaux, persuadé quil mérite le Prix Nobel de la Paix (ce qui ne lempêche pas de prendre des leçons de dictature auprès de Ceausescu), et dautre part le récit des derniers mois vécus avant le crash par le sous-officier Ali Shigri, qui se présente comme le seul rescapé.
Soupçonné de conspiration contre le Général après la disparition de son compagnon de chambrée (et accessoirement amant), Shigri purge une peine pour un crime quil na pas commis pas encore et côtoie dans les geôles du régime détranges personnages. Mais dautres figures hautes en couleurs ont leur place dans ce tableau à la fois réaliste et délirant : lambassadeur des États-Unis et ses déboires conjugaux ; le chef des services secrets, traître pris à son propre piège ; Zainab, laveugle condamnée à la lapidation pour avoir été violée ; le camarade secrétaire général du Syndicat des balayeurs du Pakistan ; le lieutenant Bannon, grand fumeur de haschich devant lEternel. On croise aussi aux soirées de lambassadeur un certain barbu présenté comme «O. B. Laden & Co, chantiers publics»
De clins dil en anecdotes éloquentes, doiseaux de mauvais augure en «accidents» de la circulation, les pièces du puzzle sassemblent peu à peu, et le poison sur le sabre viendra accomplir la vengeance finale, liant définitivement lun à lautre les destins des principaux protagonistes. À moins que le hasard, une indigestion de mangues, des ténias affamés ou le parfum dambiance à la lavande ne soient les véritables assassins ?
De cette tragi-comédie de fin de règne, on connaît lissue demblée, mais on na pas le temps de sennuyer, car lauteur manie la plume avec la même dextérité que son «héros» Shigri manie le fer. Dans un style acéré, Mohammed Hanif brosse en effet un portrait au vitriol des hautes sphères politiques pakistanaises en ces temps de Guerre froide finissante. Les personnages, même les plus annexes, prennent vie au fil des pages dans toute leur complexité, et le ridicule de leurs travers est mis au jour sans pitié mais non sans ironie. La satire trahit ici limpératif du rire face aux situations dramatiques : lhumour (noir) apparaît comme seule échappatoire à loppressante atmosphère dun Pakistan rongé par la misère, la corruption, lhypocrisie, lopium, et encore tenu dune main de fer par un dictateur sur le déclin, trahi de toutes parts et jouet des tribulations diplomatiques du conflit Est-Ouest.
Les épisodes cruels denfermement, dinterrogatoire, de torture et dexécutions alternent avec des scènes burlesques fort savoureuses lauscultation du dictateur par la «médecin en titre de la bite royale», la fureur de la Première Dame découvrant le regard lubrique de son général de mari obnubilé par les seins dune journaliste américaine
Chaque détail, croustillant ou sérieux, chaque soubresaut de la petite ou de la grande histoire va peu à peu prendre sa place et son sens dans lintrigue, menée de main de maître. Et si, pour paraphraser Flaubert, «les perles ne font pas le collier, cest le fil», on se réjouira de trouver ici les deux ; on placerait donc volontiers ce livre parmi les petits bijoux dans la galerie des «thrillers politiques».
Claire Aslangul ( Mis en ligne le 27/04/2011 ) Imprimer | | |
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