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Une odyssée pachydermique | | | José Saramago Le Voyage de l’éléphant Seuil - Points 2010 / 6 € - 39.3 ffr. / 217 pages ISBN : 978-2-7578-1956-2 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication française en septembre 2009 (Seuil).
Traduction de Geneviève Leibrich. Imprimer
1551, Salomon, éléphant d'Asie appartenant au roi de Portugal, Joao III, est offert à larchiduc Maximilien dAutriche, gendre de Charles Quint, en cadeau de noce
Un beau cadeau un peu encombrant, un problème diplomatique monté sur pattes et pesant quatre tonnes
Car il faut le convoyer, cet éléphant, lemmener loin de Bélem, lui faire traverser le Portugal, puis lEspagne, la Méditerranée, les Alpes...
Alors, doté dune escorte militaire et protocolaire réduite (une trentaine dhommes, commandés par un officier conscient de limportance de sa mission) et dun cornac bouillonnant de bonnes idées, nommé Subhro, Salomon entame son long voyage, traverse des villages terrifiés ou fascinés, passe pour une divinité ou un démon, croise des loups, des Autrichiens, traverse la brume, fait des rencontres en tous genres et comme sa suite trace ainsi sa petite odyssée à travers lEurope, au gré des conventions diplomatiques, des susceptibilités protocolaires, des difficultés administratives ou bassement matérielles. Et il est question également de colombophilie, de latin
un peu de tout dans un récit en forme de grand tour avant lheure.
José Saramago, prix Nobel de littérature
Dit comme cela, ça impressionne, ça en jette ou bien ça refroidit, ça fait un peu guindé, un peu sérieux, un peu suédois. So what ? Dabord, il y a le style
sans ponctuation, sans majuscules, des phrases longues ou plutôt une immense phrase, qui court dun bout à lautre de louvrage, et raconte une histoire, un récit, un voyage. Avec José Saramago, ce sont les mots qui voyagent, entraînant le lecteur : pour les nouveaux venus dans cette uvre étonnante, parfois déconcertante, il y a un moment dadaptation, un rythme un peu hypnotique, un peu lancinant de lecture à prendre, une langue parlée devenue texte, qui ne sembarrasse pas de conventions typographiques pour dire ce qui doit être dit.
Roman court, comme les précédents, exploitant une idée en forme de parabole (ici : le voyage dun éléphant
après avoir envisagé un aveuglement collectif dans LAveuglement, ou encore une interruption de la mort dans Les Intermittences de la mort) et éclairant, au fil de cette intuition première, les attitudes, les évolutions, les cheminements des hommes. Une attention particulière au dialogue intérieur, le plus fécond, le plus intime
et un goût certain pour limprobable, le surréaliste : une éléphant qui passe en revue une troupe et salut chaque soldat personnellement, un commandant qui transforme une banale rencontre diplomatique en petite guerre détiquette, un curé qui veut exorciser léléphant
Des saynètes mises bout à bout, où, finalement, lincongruité ne vient pas de léléphant, mais du monde qui lentoure
Il faut se laisser entraîner dans ce voyage picaresque, dans cette petite troupe où chacun, du cornac au bouvier, du commandant au simple soldat, est amené à reconsidérer sa situation à lombre de léléphant, colosse silencieux, véritable statue du commandeur pour cette troupe de soldats sans guerre. Un petit moment de légèreté dans la littérature
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 07/10/2010 ) Imprimer | | |