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Poches -> Littérature |
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Voyage en absurdie bureaucratique | | | Jean-Claude Lalumière Le Front russe Le Livre de Poche 2012 / 6.10 € - 39.96 ffr. / 210 pages ISBN : 978-2-253-16011-3 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en août 2010 (Le Dilettante) Imprimer
Dans la grande tradition du burlesque, Jean-Claude Lalumière raconte par le menu les désillusions et malheurs quotidiens dun narrateur qui attire sur lui avec sûreté toutes les catastrophes possibles. Fils unique de parents petits-bourgeois qui ont passé leur vie à anticiper les malheurs et ont oublié de vivre, son contre-héros a décidé résolument déchapper au destin familial. Mais est-ce possible ?
C'est ce que ce dernier tente
se voyant en aventurier du quai dOrsay ; hélas, après sa réussite au concours, plus rien ne lui sourit ! Introverti, maladroit, peu attirant, peu sûr de lui, sauf lorsquil se jette tête baissée dans une action malencontreuse, il accumule de la part de ses collègues et supérieurs mépris et ressentiment, suffisamment lucide pour constater lampleur de la catastrophe, mais incapable de la surmonter.
Tout commence mal lorsque, à la première réunion des nouveaux reçus, le chef de service qui les initie bute malencontreusement sur lignoble attaché-case que sa mère lui a offert et quil a bon gré mal gré - emporté avec lui. Tout est dit : sa distance lucide à l'égard de ses parents et de leurs erreurs, mais son impossibilité à sen détacher. A partir de là, tout va de mal en pis ; au lieu de rester dans les beaux quartiers, il est exilé au «bureau des pays en voie de création, section Europe de lEst et Sibérie». Il y rejoint des individus improbables, eux aussi victimes plus ou moins consentantes de cet exil administratif : un chef de service fou, un collègue obsessionnel et stupide, un informaticien qui rêve de voyages quil nose accomplir en raison de sa phobie des avions, et deux secrétaires, la première - en fin de carrière - restée bloquée dans les années 1970, et la seconde dont lunivers se borne à son chien Youki, épouvantable roquet caractériel.
Loccasion pour Jean Claude Lalumière de sen donner à cur joie en décrivant toutes les tares, manies, menues obsessions, dune administration qui est ici celle des Affaires étrangères mais dont les traits principaux pourraient appartenir à nimporte quel ministère. De ce voyage en absurdie bureaucratique, nul ne sort indemne. Notre héros espère pourtant pouvoir senfuir à la faveur de circonstances favorables qui le conduisent à la section communication. Son idée de génie, qui répond aux goûts du jour, étant lorganisation dune «marche des fiertés diplomatiques», événement pour lequel il faut trouver une date entre gay pride et autres techno-parades
Et lorsque tout est enfin prêt, tout va évidemment capoter
Retour à la case départ.
Descendant des personnages de Courteline, notre anti-héros vieillira doucement à lombre des tours de la modernité médiocre du nouveau XIIIe arrondissement, derrière la gare dAusterlitz, lieu morne où il aura tout loisir de méditer à léchec programmé de sa vie. Une sorte dÉducation sentimentale au XXIe siècle, mais où, à la différence de Frédéric Moreau, notre héros est lucide de bout en bout sur la catastrophe programmée que doit être sa vie, comme en témoigne la dernière phrase du livre : «Lhistoire dune vie, cest toujours celle dun échec».
Un texte réjouissant, dans la tradition de lhumour britannique.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 08/02/2012 ) Imprimer | | |
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