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Poches -> Littérature |
| Thierry Beinstingel Retour aux mots sauvages Le Livre de Poche 2012 / 6.60 € - 43.23 ffr. / 232 pages ISBN : 978-2-253-16759-4 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en août 2010 (Fayard) Imprimer
Il est nouveau dans ce service. Auparavant, il travaillait comme électricien dans lentreprise ; il procédait à linstallation électrique des plateaux sur lesquels il a été transféré, à 50 ans. Lui qui se servait de ses mains, usées, noircies par le travail, doit désormais utiliser sa voix pour vanter des contrats aux clients quil joint toute la journée au téléphone. On ne connaît pas son nom, seulement celui quil se choisit pour les clients : Éric. Il va devoir débuter dans un métier auquel il est complètement étranger, apprendre à économiser sa voix, connaître les détails et les astuces des contrats, augmenter son chiffre, justifier ses ventes. Mais peu à peu, dans dautres centres que celui où il travaille, des salariés se suicident ; certains laissent des mots où ils accusent la pression quotidienne de les avoir poussés au geste fatal. La direction saffole, elle y met le temps, elle analyse et tente quelques solutions. Dans le service dÉric, on sinterroge : certes, le travail est usant, ingrat, on leur demande toujours plus, mais pas au point de mettre fin à ses jours. Et puis, au moins, on nest pas au chômage.
Doucement, progressivement, en même temps quÉric, on finit par entrevoir ce qui provoque ces gestes désespérés. Et comment, lui, il y échappe : un jour, il décide de rappeler un client pour apporter sur son contrat une précision supplémentaire. Quelques jours plus tard, le client le rappelle. Un lien se crée au long de ces échanges au cours desquels Éric échappe au texte préétabli par les spécialistes du marketing et retrouve à nouveau sa voix et ses mots, se rapproprie le langage et, quittant le verbe formaté, retourne aux mots sauvages.
Cest la solitude et la rupture de tout lien social et simplement humain que décrit Thierry Beinstingel qui sintéresse depuis quelques romans au monde de lentreprise. Bien sûr, les situations décrites font vite penser à lactualité récente et aux drames survenus à France Telecom. La violence que tente de comprendre lauteur et que subissent ces salariés est celle qui ôte aux êtres la possibilité de sexprimer contre quelquun ou quelque chose. Dans une société de services où le client est invisible (mais peut vous insulter), où le vrai patron napparaît jamais, où ses subordonnés subissent une pression comparable à celle du salarié de base, à qui sen prendre à part à soi-même ?
Amélie Bruneau ( Mis en ligne le 19/10/2012 ) Imprimer | | |
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