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Autoportrait sans concessions
Vladimir Nabokov   Partis pris
10/18 - Bibliothèque 2001 /  8.55 € - 56 ffr. / 384 pages
ISBN : 2-264-03214-6
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Recueil d'interviews, d'essais et d'articles soigneusement constitué Partis pris par Vladimir Nabokov lui-même, se donne comme une confession d'un écrivain américain "qui, autrefois, a été un écrivain russe". Ou bien encore comme "un auteur américain, né en Russie et formé en Angleterre par l'étude des écrivains français". Qu'importe! Car ainsi que Vladimir Nabokov se plaît à le rappeler lui-même, "plus l'aspect d'un insecte est particulier moins le taxonomiste est tenté de commencer par étudier l'étiquette placée sous le spécimen (...) l'art de l'écrivain étant son véritable passeport".

Ecrivain inclassable, donc. Loin d'être une hagiographie, ce recueil se lit comme une promenade péripatéticienne au cours de laquelle le lecteur pénètre les arcanes de la création d'un auteur par ailleurs partisan de la tour d'ivoire. Double privilège puisque le profane se voit autorisé (contre l'étymologie même) à pénétrer le temple et accède ainsi au secret du processus de la composition littéraire.

Confession certes, mais lorsque Vladimir Nabokov se penche sur ses contemporains, le blasphème n'est pas loin. En effet, éminent collectionneur de papillons, le personnage est volontiers iconoclaste et polémiste. Il épingle sans états d'âme des écrivains depuis longtemps au panthéon de la gloire, tels de vulgaires spécimens de la littérature universelle. Ce qui suscite beaucoup d'irritations dont il n'a cure, puisque selon lui l'oeuvre d'un certain nombre d'écrivains encensés est médiocre et éphémère : celle de Camus, Lorca, Katzantzakis, D.H. Lawrence, Thomas Mann, Thomas Wolfe et de centaines d'autres "faux grands écrivains".

Ainsi, Hemingway ou Conrad sont à ses yeux des écrivains pour "petits garçons" tant il abhorre "le style boutique de souvenirs de Conrad, les bateaux en bouteilles et les colliers de coquillages de ses clichés romantiques".

Se moquant éperdument des classifications et autres courants littéraires, il ne reconnaît que l'école du talent et réserve la taxonomie aux phalènes qu'il affectionne particulièrement ! L'identité de l'écrivain doit ce faisant être immédiatement reconnaissable grâce à un dessin particulier ou à une coloration unique, témoin ce grand auteur français Robbe-Grillet, dont l'oeuvre est "tout simplement l'objet d'un plagiat grotesque". Exit le Nouveau Roman ! Qu'un "criticule" comme il aime à appeler ses contradicteurs vienne à l'accuser de "se répéter à l'extrême", et Nabokov d'acquiescer en répliquant que "les auteurs qui se dispersent paraissent variés simplement parce qu'ils imitent beaucoup d'autres écrivains passés ou présents". Au suivant !

Mais qui donc trouve grâce aux yeux du maître de la mythique nymphette ? S'en trouve-t-il qui lui procurent "un frisson le long de la moelle épinière" ? Le lyrisme de l'expression de ses goûts n'a d'égal que la férocité de ses dégoûts. Il n'est que de "l'écouter" évoquer Robbe-Grillet, Borges et expliquer comment "avec quelle liberté et avec quel sentiment de reconnaissance on respire dans leurs merveilleux labyrinthes" pour se rendre compte que l'homme peut se montrer tour à tour lyrique et intraitable. C'est qu'à l'aune nabokovienne, peu d'oeuvres accèdent au rang de chefs d'oeuvre : l'Ulysse de Joyce, La Métamorphose de Kafka, Pétersbourg de Bielyï et la première moitié de conte de fées qu'est A la Recherche du temps perdu de Proust.

Encore faut-il l'appréhender comme il se doit, faute de quoi on subira l'ire du professeur de Cornell, Université de l' Etat de New York où il enseigna, comme le souligne cette citation à propos d'Ulysse : "Sans aucun doute, une oeuvre d'art divine qui continuera à vivre malgré les nullités savantes qui tentent d'en faire un ramassis de symboles ou de mythes grecs". Dont acte. Peut être faut-il voir là l'expression de la haine bien connue de Nabokov pour tout ce qui est symbole ou allégorie qu'il doit, d'une part, à une vieille querelle avec le "charlatanisme freudien" et, d'autre part, à la répugnance que lui inspirent les généralisations que "commettent les écrivains férus de mythes ou de sociologie".

Cent fois éreinté mais nullement touché par la critique hostile, il saisit chaque occasion de riposter contre "les philistins" et autres "criticastres" (expression ciselée par Swinburne qu'il reprend à son compte). Lesquels, "sans faire aucun tort à leur victime, se détruisent les uns les autres par leurs numéros grotesques". Qu'un "pompeux imbécile" trouve à redire à ses scrupuleuses traductions littérales "servilement fidèles" et aussitôt il se fait fort de pointer l'ignorance "risible" de la langue et de la littérature russes. L'érudit déplumé Edmund Wilson qui faisait autorité dans les colonnes du New York Review peut en témoigner amèrement !

C'est que Nabokov traduit avec la patience d'un moine enlumineur, les grands textes russes, ceux de Pouchkine en tête, en s'efforçant d'adopter une traduction littérale la plus fidèle possible à grands renforts de notes, exécrant par là-même tout enjolivement, source intarissable de "bourdes". Prenons garde donc à ne pas massacrer cet immense auteur "dont le sang coule dans les veines de la littérature russe moderne aussi inévitablement que le sang de Shakespeare dans celles de la littérature anglaise".

Mystificateur pour les uns, agent provocateur littéraire pour les autres, l'auteur de Lolita ne peut laisser indifférent. De même cet ouvrage jubilatoire, quasi euphonique tant il "résonne" de la voix de Nabokov, écrivain qui ne pensait en aucune langue mais bien plutôt en images et avait le don de voir les lettres en couleurs. Ainsi, ces Partis pris semblent s'illuminer d'une étrange lumière : "Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !".


Steven Barris
( Mis en ligne le 01/03/2001 )
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