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Poches -> Littérature |
| Nancy Huston Dolce Agonia Actes Sud - Babel 2002 / 16.25 € - 106.44 ffr. / 500 pages ISBN : 2742739319 Imprimer
Repas de Thanksgiving chez Sean Farrell, poète et professeur de poésie : il rassemble une douzaine damis qui risqueraient - comme lui - de se sentir seuls en ce soir de fête. Il y a là des collègues écrivains et universitaires, un avocat, un boulanger philosophe et un peintre déçu par le travail artistique, danciennes amantes... plus les conjoints des uns et des autres. Tous ont largement dépassé la quarantaine, sauf la jeune épouse de Hal: le couple est venu avec un bébé quon installe à létage.
Les hôtes se rassemblent autour dun prodigieux festin, mais lespace qui les cerne est peuplé de présences invisibles. Celle de Dieu, pour commencer... Un Dieu sans compassion, qui intervient régulièrement au fil du récit pour préciser quelle sera la destinée de chacun, quelle sera sa fin. Présents aussi dans les pensées des invités : les amours saccagées, les échecs, les disparus bien-aimés, enfants ou parents, les ramenant sans cesse à leur propre fragilité. Ils sont arrivés à lâge où le corps vous trahit, entre avec incrédulité dans la vieillesse, cet état déplaisant qui "ressemble toujours à un déguisement". Où il se met à héberger dindésirables compagnons, comme ce cancer rongeant le poumon de Sean... Au dehors tombe la neige, une neige qui fait étrangement penser à la chanson éponyme de Claude Nougaro : ce "cimetière enchanté fait de légères tombes".
Car le roman de Nancy Huston est plein de tendresse et de quiétude, même sil est émaillé de méditations douloureuses, même si la fatalité est présente à chaque page, dans le passé comme dans lavenir révélé des convives. Mais nul névoquera le malheur à voix haute : en apparence, la soirée se déroulera paisiblement, dans la douceur festive dune nuit dhiver naissant.
La romancière canadienne vit à Paris depuis longtemps : elle écrit dabord en anglais et traduit elle-même ses oeuvres en français. Dolce agonia fut esquissé, abandonné, repris plusieurs fois en dix ans, avant de paraître enfin aujourdhui... On le comprend, tant est délicate la trame qui permet dentrelacer tous ces destins sous le regard dun Dieu ironique, en une seule veillée. Tant est magistrale lécriture lumineuse et souple qui cherche - et réussit souvent - à effleurer lessentielle tragédie humaine : celle dune longue et douce agonie, dune marche vers lanéantissement, entamée dès les premiers jours de lexistence.
Isabelle Nouvel ( Mis en ligne le 19/11/2002 ) Imprimer | | |
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