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Poches -> Littérature |
| Noëlle Châtelet La tête en bas Seuil - Points 2003 / 4.95 € - 32.42 ffr. / 160 pages ISBN : 2020573857 Imprimer
Cest le récit dun combat pour la vie. Un combat dun genre particulier, et lexpression nest pas choisie par hasard. Ce «genre particulier» nest ni féminin, ni masculin, il est les deux à la fois, il nest rien. Paul a mis quarante ans à oublier le nom dont lavaient baptisé ses parents : Denise. Quarante années à se «cogner contre les barreaux du monstre en cage» . La petite Denise, déjà, avait les cuisses plus fermes que les autres filles de son âge, et plus de goût pour grimper aux arbres que pour bercer ses poupées. Quand les gens du village se pâmaient devant la finesse du «beau petit garçon» en pantalon de golf, Denise et sa mère pouffaient de rire, complices et peut-être un peu faussement naïves aussi. Puis la voix de Denise est devenue voilée, plus grave, puis un duvet a assombri la ligne de sa lèvre supérieure. Et puis une nuit, un «messager» est venu voir Denise : «Il ma laissé en présent aux portes de mon corps un peu de sa lance glorieuse» . Aux portes de son corps, là où dautres lèvres très inférieures sacharnaient à ne revendiquer la féminité de Denise que dans un balbutiement. Et dans limpasse. Paul alors séveille et ne cessera plus de vouloir naître au monde.
La lutte de cet être à la recherche de son identité sexuelle et de son identité tout court, Noëlle Châtelet la traduit en mots très justes et sensibles. Ce nest sans doute pas par hasard si elle a choisi le «je» pour mener ce récit né des confessions dun certain «Mr XY», hermaphrodite, que lauteur a rencontré pour les besoins dune enquête qui a donné lieu, en 1998, à Corps sur mesure (Le Seuil). Au-delà de lhistoire de Paul, de sa souffrance et de la folie à laquelle il tente déchapper, La Tête en bas fait immanquablement écho en chacun dentre nous. Le personnage de Paul, dailleurs, dans sa propre rédemption, nest pas sans dimension christique : «Flore avait donc raison. On vient vers la lumière qui entoure mes paroles et mes gestes. On vient vers ma clarté. Jattire les malheureux, les laissés-pour-compte, les paumés, les estropiés de lâme. Je les attire malgré moi, sans comprendre pourquoi, comment, car le malheureux, le laissé-pour-compte, le paumé, lestropié de lâme, nest-ce pas moi dabord, nest-ce pas moi surtout ?» La réponse est peut-être non. Paul souffre dêtre un «jeune homme approximatif» et comme la nature na pas tranché, il finira par demander au sclapel de le faire, dans sa chair, en débarrassant son torse dune poitrine devenue insupportable puisquil la décidé : cest un homme. Mais de quelles approximations ne souffrons-nous pas tous, peu ou prou ? Quelle identité sommes-nous sûrs de pouvoir revendiquer ? Paul, lui, bien sûr, na jamais eu loccasion den être dupe. Cruelle différence.
Anne Bleuzen ( Mis en ligne le 05/02/2003 ) Imprimer | | |
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