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| Poches -> Littérature |
| Maryse Condé La Belle Créole
Gallimard - Folio 2003 / 4.60 € - 30.13 ffr. / 307 pages
ISBN : 2-07-042250-X
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En ce matin de canicule, Dieudonné descend les marches du Tribunal de Port-Mahault, territoire français des Caraïbes, où il vient d'être acquitté du meurtre de Loraine, sa riche et fantasque maîtresse béké (blanche native du pays). Son avocat Matthias Serbulon a servi au jury une édifiante histoire de dominatrice cruelle maniant le fouet contre son jeune "esclave" sans défense, lequel finira par se rebiffer...
Mais à vrai dire, personne ne sait ce qui s'est réellement passé ce soir-là dans la grande villa de l'Allée des Amériques, où le séduisant jeune homme avait été engagé comme jardinier. Ni la grand-mère Arbella, ni la tante Fanniéta, ni même Boris, clochard érudit et seul véritable ami. Car Dieudonné ne dit rien, ne s'explique jamais, et n'aime "surtout pas ceux qui parlent, remplissent leur bouche avec des sons, des mots". Du silence, il a fait une forteresse, qui l'emmure au lieu de le protéger. Car quelle est la personnalité d'un homme, s'il ne l'affirme pas lui-même ? Simplement le reflet des fantasmes de ceux qui l'entourent.
Ainsi, le voilà libre après deux ans de geôle, mais libre pour quoi faire ? Le pays est paralysé par les grèves : électricité, voirie, services publics... Les rues sont envahies par des meutes agressives de chiens errants. Les partis politiques locaux se déchirent autour de l'idée d'indépendance, sans savoir si la population la désire vraiment. Quant aux touristes, ils ont fui depuis longtemps et les pauvres survivent à peine, en espérant le retour des jours meilleurs.
Maryse Condé, grande romancière et essayiste de la "Créolité", est née en Guadeloupe, en 1937. Après de longues pérégrinations (France, Angleterre, Jamaïque, Guinée, Sénégal, Ghana...), elle s'est établie aux USA où elle enseigne la littérature à l'Université de Columbia. Auteur, entre nombreux autres, de "Célanire cou-coupé" et de "Ségou", vaste fresque familiale africaine (les deux chez Robert Laffont), elle poursuit ici une oeuvre centrée sur la quête de l'identité intrinsèque. Celle qui dépasse l'origine ethnique ou géographique, alors qu'elle ne peut - en pratique - s'y soustraire. Ses personnages, auxquels Dieudonné ne fait pas exception, sont souvent des anti-héros, fragiles et irrésolus.
Dans une langue vive et fraîche, délicatement mâtinée de créole, elle nous offre un "conte moral" secrètement désespéré. Les voix symboliques s'y répondent sans se reconnaître à travers une galerie de portraits colorés, brossés de main de maître : le silence de Dieudonné revêt dès lors une terrible signification. Une lecture captivante autant qu'essentielle.
Isabelle Nouvel
( Mis en ligne le 24/04/2003 )
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