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Poches -> Littérature |
| Michael Turner Le Poème pornographe Gallimard - Folio 2005 / 8.50 € - 55.68 ffr. / 498 pages ISBN : 2-07-031517-7 FORMAT : 11x18 cm
Première édition : Au Diable Vauvert, 2003.
Traduit par Christophe Claro. Imprimer
Le Poème pornographe est le troisième roman du Canadien Michael Turner, et le premier à se voir traduit en français (signalons au passage que la traduction est le fait du génial Claro, à qui lon doit plusieurs tours de force en la matière). Comme son titre ne lindique pas, ce foisonnant Poème est plus une chronique douce-amère de ladolescence dans une banlieue aisée de Vancouver à la fin des années soixante-dix quune analyse de la nature humaine à travers moult pratiques sexuelles plus ou moins étranges.
Le narrateur, dont on ne connaîtra jamais le nom, répond tout au long de louvrage à linterrogatoire que lui font subir deux mystérieuses personnes très (trop ?) bien renseignées sur sa vie la plus intime : «En fait, nos registres indiquent que davril 1978 à juin 1980, vous êtes allé cent trente-sept fois chez Robin. Cest possible
» Le jeune homme raconte à ses interlocuteurs, dans le détail, depuis le début de son adolescence jusquà lâge adulte, comment son institutrice lui a fait partager son amour du cinéma (et réaliser son premier film, lhilarant Joe et Barbie), décrit ses relations, parfois houleuses, avec sa meilleure amie, Nettie, atteinte dune grave maladie cardiaque, mais aussi comment il a pris conscience que même les personnes les plus estimables de son entourage pouvaient cacher de sordides habitudes : «Pendant tout lété, javais attendu avec impatience le jour où je serais dans la classe de cinquième de M. Gingell. [
] Mais voila quil était un pédophile.»
Michael Turner aime mélanger les procédés narratifs. Léveil à la vie adulte des deux adolescents nous est montré sous forme de flash-back très descriptif, les interrogatoires sont entièrement dialogués, et les scènes les plus crues sont écrites sous forme de synopsis, sans doute pour que le lecteur sen distancie, comme sil y assistait, à linstar du narrateur, à travers lobjectif dune caméra Super-8.
Car cest bien cette distanciation progressive du narrateur avec la réalité du quotidien qui est le fil conducteur du roman. Il ne sattache à rien, ni surtout à personne (Nettie mise à part). Il perd peu à peu tous ses repères à force de les contempler à travers le prisme de sa caméra, à l'image de ce court-métrage, pour le moins étonnant, tourné en cachette chez ses voisins (et intitulé Le Chien de la famille
), qui se trouvera édifié au rang de géniale performance artistique par un cercle de dandys plus ou moins branchés ayant assisté à la projection : «Ça ressemble à un truc que jai vu à la cinémathèque il y a deux ans. [
] Cest intéressant la façon dont la caméra se comporte à faire des zooms avant et arrière entre regard et subjectivité.»
Sans doute ce monumental interrogatoire nest-il finalement quun regard du narrateur porté sur lui-même, qui essaye de comprendre comment il a pu être rattrapé par ce monde dhypocrisie et de désillusions quil voulait dénoncer. De même la principale qualité du Poème pornographe est-elle aussi son principal défaut. Si lécriture très «filmique» nous plonge magistralement dans une tranche de vie et paraît tout à fait adaptée à un ouvrage dont le personnage central est réalisateur, on finit par avoir le sentiment que Michael Turner fait tout pour faciliter la tâche dun éventuel metteur en scène qui voudrait faire un film de son Poème. Il faut dire que ses deux précédents romans ont déjà été adaptés à lécran.
Guillaume Clapeau ( Mis en ligne le 26/02/2005 ) Imprimer | | |
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