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Poches -> Littérature |
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Noureev, sulfureux et polyphonique | | | Colum McCann Danseur 10/18 - Domaine étranger 2005 / 8.50 € - 55.68 ffr. / 415 pages ISBN : 2-264-04067-X FORMAT : 11x18 cm
Traduit de l'anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre.
Première édition : Belfond, 2003. Imprimer
Semparer de la vie du danseur étoile Rudolf Noureev, décédé du Sida il y a dix ans, et en faire une fiction, cest le pari de lécrivain irlandais Colum McCann dans son dernier ouvrage, Danseur. Malgré lavertissement qui ouvre le récit («Ceci est une uvre de fiction. A lexception de certains personnages publics dont les noms ont été gardés, les noms, les personnages et les événements dépeints ici sont le fruit de limagination de lauteur») et mis à part quelques raccourcis de trois surs il ne reste plus quune on retrouve tous les éléments de la vie du danseur et les personnalités qui lont traversée. Lauteur réussit le tour de plume de romancer la réalité sans la trahir fondamentalement, tout en la rendant plus vraie.
La liste dobjets lancés sur la scène au cours de sa première saison à Paris en 1961, avec laquelle souvre le livre, dit lampleur de la renommée sulfureuse de la star russe : «Dix billets de cent francs roulés sous un élastique (
), dix-huit culottes de femmes (
), des billets affirmant "Vous êtes un traître de la Révolution", du verre brisé jeté par des militants communistes (
), des menaces de mort, des clés de chambres dhôtel, des lettres damour». Et pourtant, loin de lunivers glamour et paillettes, lécrivain part à la quête dun Noureev enfant, petit garçon sale et efflanqué, vêtu des habits rafistolés de sa sur, Tamara. Un petit garçon tatar de six ans qui ne connaît pas les bonnes manières mais qui, déjà, aime Tchaïkovski et patiner sur le lac gelé dOufa, ville du fin fond de lOural : «Personne ne lui avait jamais appris à se laver les mains avant de manger. Ses doigts fréquentaient souvent ses narines, et il avait une propension terrible à se gratter lentrejambe», raconte Sergueï, rescapé des camps de Sibérie qui récite des vers à tout bout de champ et mari dAnna, la première professeur de danse de Rudolf Noureev.
En plus de faire revivre laustère Russie et sa société policée, Colum McCann donne chair à une pléthore de personnages aussi attachants que loufoques qui racontent des fragments de vie du danseur à travers leur propre existence. Ainsi on suit larrivée de Rudik à Leningrad à travers les yeux de Yulia, traductrice et fille dAnna, un peu rebelle, un peu paumée et soumise à un mari grossier ; son arrivée à Londres en plongeant dans le quotidien monotone et obsessionnel dun chaussonnier, futur époux de la cuisinière de Noureev. Ce nest quau quart du livre que le «je» du narrateur se glisse enfin dans la peau du danseur et encore, sous forme de notes. «Une journée sans danse est une journée perdue. Nietzsche. Oui ! Leçon délocution. Visa pour Moscou. Dire à Shelkov daller se faire foutre et de bouffer sa merde, lui apporter seau et cuiller. Mieux encore, victoire suprême, lignorer complètement. Chaussons. Permis. Tenue propre pour concert au conservatoire. Le garçon du bus. Vigilance. Dormir moins. Echauffement le matin. Travailler grands battements qui manquent de maîtrise et de force. Tenir plus longtemps en relevé, ça manque aussi de puissance. Pirouettes de neuf à dix tours. Chaboukiani, je te baise les pieds ! Faire cabrioles face au miroir plutôt quen biais. Sacha : Vivre à lintérieur de la danse. Penser plus vite, manuvrer mieux, apprendre encore. Même la perruque doit vivre.» Autant dimprécations brutales lancées à lui-même, Rudik construit Noureev, ce personnage flamboyant et colérique qui ne vivait que pour la danse
et le sexe. Indomptable.
Proche du procédé du collage, la narration polymorphe sagence pour transmettre toute la fougue de cette personnalité hors norme, travailleur acharné, arrogant, doté dune vitalité exceptionnelle et dune forte propension à linsulte, dont la vie semble correspondre à linjonction «sexe, drogue et
danse». La construction polyphonique du récit saxe autour de Rudolf Noureev, sans jamais le percer complètement, et laisse le lecteur pantelant comme un vulgaire spectateur, partagé entre agacement et fascination. Exactement ce que produisait le véritable Rudolf Noureev chez ceux qui le côtoyaient sans vraiment le connaître.
Céline Jacq ( Mis en ligne le 06/07/2005 ) Imprimer
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