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La pauvreté nue
George Orwell   Michel Pétris   Le Quai de Wigan
10/18 - Domaine étranger 2000 /  7.33 € - 48.01 ffr. / 260 pages
ISBN : 2-264-03034-8

traduit de l’anglais par Michel Pétris
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La première impression du livre d’Orwell, c’est "le pas des ouvrières et le son de leurs galoches sur la rue pavée". Leur écho accompagne la lecture, à mesure que se déploie la zone minière de Wigan Pier, l’odeur de la misère, le quotidien des pensions pouilleuses pour ouvriers. L’hygiène comme le respect y sont aussi rares que le pain frais. "Ce n’était pas seulement la saleté, les odeurs et la nourriture immangeable, mais surtout le sentiment d’un pourrissement absurde et immobile , l’impression d’avoir échoué en quelque lieu souterrain où les gens ne cessaient de tourner en rond comme des cafards, englués dans un cercle sans fin de besognes bâclées et de récriminations sordides".

Mais comment comprendre cette pauvreté, ce dénuement ? Orwell n’est pas Zola, la pauvreté n’est pas dramatisée. Est-ce tout d’abord du à ce que l’un l’a connue, et l’autre pas ? La pauvreté, ni un vice, ni une vertu : mais bien l’ennui, le stupide ennui. Léon Bloy, dans son Journal consigne le menu quotidien de ses dépenses, de ses difficultés de trésorerie. Quel ennui, pensera probablement le lecteur. Précisément la pauvreté, c’est l’ennui. Qui précède l’effondrement moral, psychologique. L’égrenage des journées mortes car sans objet, le futur englouti sans bruit dans le brouillard poisseux, silencieux, voilà ce qu’est l’absence d’argent. A Wigan Pier, dans les faubourgs de Londres des années 30 comme dans ceux de Paris de Dans la dèche à Paris et à Londres.

La pauvreté sous la plume d’Orwell n’est pas exacerbée. Pas de mise en scène. Pas de stigmatisation. Pour contrebalancer l’iniquité il ne tombe pas dans l’excès inverse; faire du pauvre une figure sainte du panthéon laïque. Penchons nous sur l’outrage fait aux pauvres : on ne les voit pas mais secrètement les juge. Transparents aux yeux des "honnêtes gens", ils n’en sentent pas moins leur silencieuse condamnation, mêlée à la crainte sourde du déclassement social. La pauvreté, maladie honteuse, qu’on préfère cacher derrière des formules ("ces gens-là ne sont pas comme nous, pour eux la misère n’est pas si terrible" !) qu’en démontant, Orwell met à nu.

"Je me borne à décrire ce que j’ai vu", et, l’écriture journalistique d’Orwell capte la sympathie du lecteur. Peut-être plus que ne l’auraient fait un manifeste politique, l’abus de ressorts dramatiques d’un roman social ou le jargon d’un expert. "On se doit de voir et de sentir -surtout de sentir- de temps à autre de tels endroits, pour ne pas oublier qu'ils existent". On ne peut pas oublier la silhouette du mineur penché, besognant cette houille sans laquelle la quasi-totalité de nos actes quotidiens eussent été impossibles.

"D’une certaine manière, c’est une expérience humiliante que de regarder travailler des mineurs. On se prend brusquement à douter de sa supériorité en tant qu’intellectuel, et personne au-dessus du commun en général". Est visé l’archétype de l’aristocrate Anglais des années 30, tel que croqué par Lubitsch, l’imbécile Sir Henry Carmel. Est visé également l’Anglais moyen que peint Orwell dans Un peu d’air frais ! Est visé enfin l’intellectuel bourgeois, le socialiste. Robert Guédiguian explique dans La Ville est tranquille ce qu’Orwell avait déjà pressenti : le peuple n’est pour l’intellectuel que l’objet d’un discours visant à justifier son propre pouvoir. Hier angélique, aux temps de l’URSS et de la révolution mondiale, aujourd’hui bouffé au poujadisme, sensible aux sirènes de la xénophobie, le peuple est une masse aux instincts vils contre laquelle il convient de "résister".

Orwell perce le mépris social des intellectuels progressistes et dans un suprême effort d’honnêteté, admet buter sur le mur de l’irréductible incommunicabilité qui sépare les classes sociales. Et s’il n’appelle pas à la révolution, c’est retenu par sa méfiance à l’égard des systèmes politiques, par essence tyranniques. Orwell est définitivement individualiste, et reste pour cela inclassable.

Le propos d’Orwell n’est pas gratuit : il vise à comprendre la distance que les honnêtes gens gardent vis-à-vis du socialisme. Distance incompréhensible, au regard des criantes injustices. Pour Orwell, le désastre est imputable aux intellectuels socialistes eux-mêmes. "La vérité, c’est que pour beaucoup de ceux qui se réclament du socialisme, la révolution n’est pas un mouvement de masse auquel ils espèrent s’associer, mais une ensemble de réformes que nous, les gens intelligents, allons imposer aux basses classes". Il ne s’agit plus d’un malentendu, mais d’une catastrophe sociale et stratégique qu’il est urgent de dénoncer, à défaut de résoudre, car écrivant en 1937, Orwell pense qu’il reste deux ans avant la guerre entre le fascisme et les démocraties. Visionnaire, Orwell ?


Vianney Delourme
( Mis en ligne le 23/05/2001 )
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