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Poches -> Littérature |
| Mikhaïl Boulgakov Les Œufs du destin Gallimard - Folio bilingue 2003 / 8.20 € - 53.71 ffr. / 360 pages ISBN : 2-07-042421-9 FORMAT : 11 x 18 cm
Edition bilingue. Traduit du russe par Edith Scherrer. Traduction revue, préfaces et notes de Françoise Flamant.
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La nouvelle commence telle une satire, hilarante, de la recherche scientifique dans le Moscou des années 1920. Elle se termine finalement en un récit fantastique, aussi surprenant quexubérant. Le vieux professeur Persikov, à la tête «en forme de pilon, chauve, avec des touffes de cheveux jaunâtres hérissés sur les côtés», est passionné par les batraciens. Son érudition négale que sa solitude de chercheur monomaniaque. Directeur de linstitut de zoologie de Moscou, il a vu la révolution dOctobre le priver de ses crédits et provoquer la mort de ses chers amphibiens. Mais lhomme a tenu bon, donnant notamment chaque semaine, dans une salle à -5°, un cours sur «Les reptiles de la zone torride»
Avec la Nouvelle Politique Economique (NEP), linstitut reprend vie, Persikov multiplie les interventions et les articles. Jusquau jour où, lors dune observation au microscope, il découvre un étrange « rayon rouge » aux pouvoirs prodigieux. Dès lors, en un été, tout bascule. Lintuition géniale du savant, combinée à larrivisme dun directeur de sovkhoze, amplifiés par une presse ignare, conduisent à l«épouvantable catastrophe»
Les ufs du destin, écrite en 1925 mais située en 1928, est lune des trois nouvelles fantastiques de lécrivain russe Mikhaïl Boulgakov (1891-1940), avec Endiable (1924) et Cur de chien (1968). Lauteur du Maître et Marguerite y révèle un talent de conteur absolument savoureux. La nouvelle, qui se réclame ouvertement de H.G. Wells, est en effet un bijou décriture où lironie affleure derrière chaque épithète et où les mots sont comme de nouveaux rebondissements dans une histoire qui nen manque pourtant déjà pas.
Certains déboires de Persikov furent également ceux de lécrivain. Tout comme son personnage, Boulgakov est un scientifique, un médecin. A la veille de la révolution dOctobre, il vit très mal sa mobilisation dans la province de Smolensk (où se déroule une partie des événements tragiques du livre), devient morphinomane, et reçoit là-bas comme un coup la nouvelle du soulèvement bolchevique. Plus tard, avec la NEP instaurée par Lénine en 1921, qui saccompagne dune ouverture artistique et culturelle et du développement dune presse diversifiée, Boulgakov se lance dans lécriture, publiant des nouvelles dans les journaux. Un voisin le surprend ainsi un jour au téléphone, négociant une avance sur les ufs du destin : «Ma nouvelle est terminée. Vous ne me croyez pas ? Bon ! Je vous donne tout de suite lecture de la fin
» Et lavance lui fut accordée. Mais la fin annoncée à lépoque na rien à voir avec celle publiée aujourdhui : en réalité, Boulgakov improvisait. Avec une telle aisance quil avait vraiment lair de lire un manuscrit ! Mais, tout comme ses autres nouvelles, Les ufs du destin catalogue rapidement Boulgakov comme antisoviétique. A partir de 1927, tandis que le contrôle du pouvoir sur le monde de l'édition se durcit, le prosateur est ainsi réduit au silence. Il ne pourra désormais compter que sur le théâtre pour survivre et s'exprimer.
Rafaële Brillaud ( Mis en ligne le 19/01/2004 ) Imprimer | | |
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