| |
Ce jour d’il y a vingt ans… | | | Jorge Semprun Vingt ans et un jour Gallimard - Folio 2006 / 7 € - 45.85 ffr. / 413 pages ISBN : 2-07-033685-9 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication française en mai 2004.
Traduction de Serge Mestre. Imprimer
Ce jour dil y a vingt ans, alors que commençait la guerre civile, les paysans de La Maenstranza, propriété des Avendano, montèrent, fusils et faux brandis, revendiquer aux maîtres de maison la réalisation de leur idéal collectiviste. José Maria Avendano, tout républicain quil fut, y perdit la vie, de même que lun des meneurs, surnommé «El Refilon»
Depuis, la communauté rejoue, chaque année à la même date, le drame, dans lune de ces cérémonies sacramentales, baroques et doloristes, dont lEspagne a le secret. En ce mois de juillet 1956, les deux corps doivent être réunis, au terme de lune de ces processions, qui doit aussi être la dernière.
Telle est la trame de Vingt ans et un jour, dernier roman de Jorge Semprun (aujourd'hui au format poche), le canevas sur lequel lécrivain et intellectuel tisse une histoire familiale, modeste mais véritablement romanesque, mêlée à la grande, celle des coups dEtat et des guerres. Les Avendano, ce sont dabord trois frères : José Maria, lintellectuel de gauche, époux de la belle Mercedes Pombo ; José Ignacio, le jésuite ; et José Manuel, le franquiste, autoritaire et jouisseur. Lorenzo et Isabel sont les enfants de Mercedes et José Maria, deux jumeaux posthumes liés par un amour incestueux, impossible, donc mortel
On nattendait pas mois du célèbre romancier espagnol quune uvre aussi épaisse, riche, relevant à la fois du grand roman, déchaînement dramatique de passions, dans une écriture veloutée, puissante, calibrée, de lessai historique et de considérations littéraires, sur lécriture, la création romanesque. Car nest-ce pas ainsi quil faut interpréter la mise en avant du Narrateur dans le corps du récit même, et ses interpellations aux lecteurs, que lon pourrait trouver ailleurs agaçantes mais qui, ici, font penser à un conteur accompagnant ses ouailles, au guide quil faut suivre avec confiance, car il a fait maintes fois ses preuves. Suivons donc Semprun sans regimber et lon aura trouvé loccasion dun grand moment de littérature.
Lauteur joue avec une intrigue comme sil dansait un tango, danse à laquelle, dailleurs, il se réfère. Beaucoup de sur-place et dallers et retours forment en effet une danse autour de cette journée particulière et de son vingtième anniversaire. Semprun construit son récit en jouant de déconstruction, comme un puzzle plusieurs fois éparpillé, «dans le désordre, par associations didées, dimages ou dinstants, en revenant en arrière, en te projetant en avant» jusquà ce que, soudainement, limage prenne forme. Sans quon ne sache trop comment, on atteint lacmé au terme de détours, de titillements : préliminaires littéraires pour un roman qui parle aussi, citant Saint Augustin, de lamour et de sa consommation, des plaisirs possibles dans les limites des règles matrimoniales, et de la concupiscence. Une belle et savoureuse prouesse
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 03/05/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Mort qu'il faut de Jorge Semprun | | |