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Poches -> Littérature |
| Philip Roth Le Complot contre l'Amérique Gallimard - Folio 2007 / 7.70 € - 50.44 ffr. / 476 pages ISBN : 978-2-07-033790-3 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Traduction de Josée Kamoun.
Première date de publication française : mai 2006 (Gallimard - Du Monde Entier). Imprimer
On avait beau aimer Philip Roth, ici, on jubile
à la limite de lextase littéraire ! Alors que la production romanesque, en France, affiche cet égocentrisme démissionnaire, outre-Atlantique ou, plus simplement, hors de nos frontières les lettres sautillent, vivent, bondissent même, jusquaux curs des lecteurs, secouant de front lintellect et laffect
En retour, on louche avec une pâle figure sur les tristes étals alimentés par nos concitoyens : autant dégo-histoires larmoyantes et pseudo-intellectualisantes, par autant de clones sortis des Grandes Ecoles. On redoute chaque rentrée littéraire, avec de sombres envies dautodafés
Mais pour la santé des lettres, pas contre elles comme les brasiers nazis en eurent la criminelle audace il y a soixante ans à peine.
Audace humaine et tragédie de lhistoire, que le fabuleux romancier américain aborde dans ce consistant et savoureux Complot contre lAmérique. 500 pages, le souffle de lHistoire (revisitée), un malicieux tressage de réalité et de fiction, démotions et de considérations plus philosophiques et politiques, bref, un détonant mélange pour contenter tout amoureux des lettres. Et aussi, un très rothien paravent autobiographique, car lauteur prétend raconter le drame qui frappa lAmérique alors quil nétait quenfant.
Le roman narre en effet les malheurs dune famille juive new-yorkaise (enfin, côté New Jersey, à Newark), les Roth, dans la tourmente des années 40. LHistoire na pas épargné lOncle Sam des relents nauséeux de la peste brune. En devenant le candidat des Républicains, le héros national, Lindbergh, ôte à Roosevelt son mandat supplémentaire et tourne, sinon déchire, une page de lhistoire nationale
«Et puis les républicains investirent Lindbergh et tout changea». Cheval de Troie de la pensée et des intentions nazies outre-Atlantique, le nouveau Président implante à petits pas les exactions observées en Allemagne, une politique extérieure de reconnaissance des avancées nazies (les accords dIslande et dHawaï scellent géopolitiquement cela, nous explique le narrateur), une politique intérieure ségrégationniste contre les Juifs, sous forme de réformes assimilationnistes et relocalisations hypocrites (Le Homestead Act de 1942), en attendant quelques nuits de cristal et états durgence comme on ne laurait jamais cru possible dans une démocratie comme celle-là : «jamais je ne recouvrerais ce sentiment de sécurité inébranlé quun enfant éprouve dans une république protectrice, entre des parents farouchement responsables».
Et cest là, justement, que le romancier excelle. Le recours, feint, à la rétro-fiction, lui autorise une création romanesque ample et profonde comme le divulgation dun message saisissant : il ny a pas régime plus dangereux que la démocratie pour petitement mais sûrement faire le lit de la tyrannie
par voie légale, puisquil le faut. 1933 en Allemagne, 1922 en Italie nimmuniseront pas les grandes démocraties contemporaines de flirter à leur tour avec les hydres fascistes. Sont-elles si saines dailleurs, nos sociétés libérales, et prémunies contre linommable ? En affabulant une possible gangrène nazie dans lAmérique des années 40, Roth pointe évidemment du doigt une très contemporaine contagion
«Retourné comme un gant, limprévu était ce que nous, les écoliers, étudiions sous le nom d«histoire», cette histoire bénigne, où tout ce qui était inattendu en son temps devenait inévitable dans la chronologie de la page. La terreur de limprévu, voilà ce quoccultait la science de lhistoire, qui fait dun désastre une épopée».
Avec le regard fidèlement rappelé de lenfance, Philip Roth montre excellemment cette imperceptible contagion des esprits, entre accommodement, compromission, aveuglement et collaboration
On lira donc ce roman avec avidité, heureux de retrouver le grand auteur dont le titre précédent, La Bête qui meurt, avait un peu déçu, chapitre supplémentaire et artificiel à La Tache.
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 30/11/2007 ) Imprimer
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