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Poches -> Littérature |
| Yasmina Khadra Les Sirènes de Bagdad Pocket 2006 / 6.30 € - 41.27 ffr. / 317 pages ISBN : 978-2-266-17271-4 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en août 2006 (Julliard). Imprimer
Cest un jeune bédouin vivant pauvre mais heureux dans son village, Kafr Karam, aux confins de lIrak. Jusquà ce que lHistoire, Clio la maligne, ne le rattrape sous les traits de Yankees sans scrupules. Soldats dopérette, jeunes racailles du Midwest promues pour les besoins de la guerre préventive, ils tirent sur tout ce qui bouge. LIslam est le mal, et tout ce qui lui ressemble mérite un châtiment, à laveugle
Ainsi de ce jeune du village, le copain pas vraiment fini, achevé par des soldats le prenant pour un dangereux terroriste. Guerre préventive
Et du père de notre narrateur, vieillard malade confondu avec un dangereux ayatollah, dénudé, battu jusquà la mort sous les yeux de son fils. Guerre préventive
mais le mal est fait et appelle une vengeance
Cest ce cercle vicieux, terrible roue dinfortune, que Yasmina Khadra dessine ici, poursuivant une thématique déjà présente dans Les Hirondelles de Kaboul et LAttentat. Pas de «choc des civilisations» mais, plutôt, de très humaines et partagées faiblesses : la bêtise, la brutalité, la soif de vengeance. Notre jeune bédouin, plutôt placide, amène même, tire de lhumiliation et de la mort du père lénergie du désespoir, une envie den finir et de tirer, lui aussi, à laveugle, comme tous ces jeunes de son village, partis, suicidaires, en guérilla contre un ennemi global : ces soldats américains sont lOccident et lui comme eux méritent une bombe.
Alors, il rejoint Bagdad, qui, des mille et une nuits, nen vit plus quune, routinière et incessante, faite dincendies et de bombardements, dattentats et du cri des sirènes éponymes, lanarchie : «La boite de Pandore ouverte, la bête immonde se surpassait. Plus rien ne semblait en mesure de lassagir. Bagdad se décomposait. Longtemps façonnée dans lancrage des répressions, voilà quelle se défaisait de ses amarres de suppliciée pour se livrer aux dérives, fascinée par sa colère suicidaire et le vertige des impunités». La ville où il avait entamé ses études avant la guerre, connu quelques discrets émois, est à présent un champ de ruines où, chaque jour, se vit et se prépare la mort, ces bombes artisanales confectionnées dans lombre de vieux garages. Notre anti-héros devient le rouage dune infernale machinerie.
Qui le conduit ensuite à Beyrouth où il retrouve le Dr Jalal, intellectuel girouette, retourné par le souffle des bombes : «Le Dr Jalal a longtemps enseigné dans les universités européennes. On le voyait régulièrement sur les plateaux de télévision à charger le «déviationnisme criminel» de ses coreligionnaires. [
] Puis, sans crier gare, il sest retrouvé aux premières loges de lImamat intégriste. Profondément déçu par ses collègues occidentaux, constatant que son statut de bougnoule de service supplantait outrageusement son érudition, il écrivit un terrible réquisitoire contre le racisme intellectuel sévissant au niveau des chapelles bien-pensantes de lOccident et entreprit dincroyables pirouettes pour se rapprocher des milieux islamistes». La discussion que ce clerc véhément a avec un romancier de passage double de lauteur ? est édifiante et concentre toutes les subtilités, cas de consciences et trajectoires brisées quune guerre contient, sans jamais pouvoir les comprendre. Dans le vacarme de la guerre, Yasmina Khadra nous restitue cette polyphonie.
On suit sans en perdre une miette cet itinéraire dun enfant maudit, attentif et avec empathie, porté par un récit qui esquive tout manichéisme et nous aide à saisir comment la noblesse dun jeune bédouin, polluée par les malheurs du temps, peut en faire un dangereux kamikaze, résigné au va-tout le plus délétère
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 02/11/2007 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:L'Imposture des mots de Yasmina Khadra L'Attentat de Yasmina Khadra | | |
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