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Eau de rose, chlorophorme et bière brune
Jennifer Donnelly   L'Ange de Whitechapel
Pocket 2010 /  12.50 € - 81.88 ffr. / 1002 pages
ISBN : 978-2-266-19191-3
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication française en mai 2008 (Belfond)

Traduction de Florence Hertz.

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En ouvrant ce volumineux roman dont le cours s'étend sans effort sur plus de 1000 pages, on plonge dans un univers organisé par des lignes directrices claires et des principes bien rodés ; cela donne, au choix, une intrigue aussi prévisible que les personnages qui s'y aiment et affrontent, requérant alors un sens de la dérision plutôt développé chez le lecteur dont on comprend cependant mal comment il a pu s'y égarer, ou bien une ambiance si familière, si intime, qu'elle en devient capable de créer à la fois une complicité, un confort, et par là-même une forme d'émoustillement chez le lecteur qui, enfin débarrassé de sa méfiance, se laisse aller à des rêveries colorées d'un peu d'aventure. Tout est question de point de vue.

Jennifer Donnelly est une habituée du genre, et relève une fois de plus le défi à sa façon. Comme dans L'Insoumise (2004) et La Rebelle (2005), elle campe ici une femme hors du commun (si l'on évite toutefois de la comparer aux autres héroïnes de romans sentimentaux) en bute à l'hostilité d'une société dont elle brave les codes par fidélité à l'idée qui l'anime, ainsi que par amour, cela va de soi. Recourant aux ficelles du roman historique pour donner un peu d'épaisseur à la trame légèrement usée des amants que tout oppose et que la vie (et le scénario) s'obstinent malgré tout à rassembler par le biais de coïncidences à peine croyables, l'auteur rajoute à ceci un ingrédient très classique, mais nouveau par l'utilisation qu'elle en fait : la vocation médicale.

À l'époque des séries télévisées Grey's Anatomy et Dr. House, il serait en effet possible de considérer que le mélange entre staphylocoques dorés et baisers passionnés, ligature provisoire de l'artère fémorale et peines de cœur incompréhensibles, greffe de rein et adultère brûlant, bref cette version revisitée de l'étreinte éternelle d'éros et thanatos n'a rien de vraiment expérimental, bien au contraire.

Mais dans L'Ange de Whitechapel, il n'est point question de ces amours ancillaires à peine améliorées, entre médecins et infirmières, qui servent si souvent de fil conducteur aux mauvais romans à l'eau-de-rose. Nous sommes également loin du «professionnalisme» d'un Slaughter ou d'un Konsalik pour qui la narration, y compris dans ses aspects sentimentaux, est surtout l'occasion de se lancer dans le récit détaillé d'opérations désespérées et de traitements osés qu'ils ont eux-mêmes proposés ou rêvé de proposer à leurs patients, en tant qu'anciens médecins. Quand J. Donnelly s'aventure du côté de ces deux extrêmes, c'est sous des formes atténuées, revisitées. Ainsi, plusieurs récits d'accouchements difficiles ou de travaux chirurgicaux complexes viennent pimenter l'histoire, pour lesquels l'auteur a d'ailleurs recours à force termes techniques quoique très compréhensibles, peut-être parce qu'elle a dû faire des recherches spécifiques sur le sujet afin d'être en mesure de rédiger ces passages, ainsi qu'elle le dit elle-même dans ses Remerciements ; d'autre part, la rencontre décisive du couple principal du roman se déroule à l'hôpital, lorsque la jeune et jolie doctoresse India Selwyn Jones sauve le malfrat Sid Malone, blessé très grièvement au cours d'un cambriolage d'armes. Pourtant, dans ce cas, la promiscuité permanente qui règne entre collègues en milieu hospitalier et joue tant dans les scénarios où le flirt a la part belle est sans conséquence, ici. Ce qui s'en rapprocherait d'une certaine façon le plus, c'est l'amitié profonde qui se développe entre India et Ella, une infirmière brillante et énergique, catégoriquement bonne.

C'est sur ce dernier point que les clichés s'accumulent. Sous prétexte de donner une teinte sociale et politique à son roman, Jennifer Donnelly verse dans le bon sentiment jusqu'à se noyer dans un misérabilisme que ses velléités de sérieux rendent plus inquiétant. Détaillons quelque peu le cadre dans lequel elle situe son dernier ouvrage : les héros se meuvent dans l'Angleterre de la fin du dix-neuvième siècle et le début du suivant, à Londres la plupart du temps, et dans le quartier très pauvre et très mal famé de Whitechapel, celui-là même qui a vu sévir Jack l'éventreur. Se croisent dans ce paysage défavorisé très riches et très pauvres, l'aristocratie et la pègre et les deux points de jonction essentiels que choisit l'auteur sont la politique institutionnalisée et les problématiques sanitaires et sociales.

La médecine intéresse finalement en tant qu'elle révèle la charité, de même que l'âme compatissante et désintéressée de l'héroïne, issue des milieux les plus aisés et dont le rêve est d'ouvrir un dispensaire pour femmes et enfants dans le quartier. La politique est elle traitée d'une manière presque similaire puisque la grande affaire est de mettre fin à un système de scrutin censitaire et promouvoir une démocratie sociale qui prendrait sa source au Parlement et non plus dans les syndicats, désormais trop dépourvus de prise sur le réel. Aider et défendre les pauvres, c'est un beau programme, dont la place dans le scénario est centrale puisque sur ce plan les bons et les méchants s'affrontent, en parallèle et très souvent de façon superposée avec l'intrigue purement sentimentale : le fiancé d'India et le beau-frère de Sid luttent pour un siège de député en même temps que les amoureux tentent à toute force de vivre leur passion et interviennent, chacun à sa façon, pour tenter de donner des réponses à la misère ambiante qui les plonge l'un comme l'autre dans une tristesse profonde et révoltée. Pour différencier les bons des méchants, il faut évaluer la place qu'ils font à l'argent dans leur vie, qu'il s'agisse de santé ou de politique.

On nage donc dans un monde où gentillesse et bonne volonté tiennent lieu d'analyse sociale, ce en quoi L'Ange de Whitechapel se distingue peu des ouvrages de son genre. Pourtant, il est un point sur lequel l'auteur tient un discours assez radical – toujours si on le compare aux ouvrages de son genre, bien sûr -, c'est le féminisme. Aussi étrange que cela puisse paraître dans le cadre que l'on a décrit précédemment, J. Donnelly tient à montrer qu'India a beau être jeune, aimante et passionnée, jolie, c'est-à-dire en tout point conforme à ce que l'on attend d'une héroïne de roman à l'eau de rose, elle est indépendante et loin d'être bête. Elle est médecin dans un contexte où l'on tolérerait plus volontiers qu'elle se contente d'être une simple infirmière, voire une femme au foyer. Elle n'hésite pas à dire leur fait aux brigands dont elle croise le chemin. Elle a des mains de travailleuse. Elle finit par boire de la bière brune. Sa presque belle-soeur est d'ailleurs elle aussi une femme forte, qui a su, à partir de rien, se retrouver à la tête d'un empire commercial. Leur première rencontre a lieu au cours d'un meeting politique durant le discours d'une des suffragettes les plus célèbres de l'époque. Le frère de Sid se fait battre à l'escalade par une jeune fille bien dégourdie, et la sœur d'India arbore fièrement une coupe à la garçonne. Pire encore, certaines amours manquent un peu de chasteté, et la brave doctoresse se bat pour distribuer des préservatifs...

Truffé de rebondissements plus ou moins conformes à la logique et plus ou moins originaux, le roman se laisse lire sans effort, avec un sourire amusé ou bien un enthousiasme dévorant, c'est selon, parce qu'il respecte parfaitement les codes du genre tout en ayant ce vernis un peu étrange de rébellion féminine, propre à l'écriture et aux préoccupations de J. Donnelly.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 16/07/2010 )
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