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Poches -> Littérature |
| Richard Millet Coeur blanc Gallimard - Folio 2008 / 5.80 € - 37.99 ffr. / 219 pages ISBN : 978-2-07-034255-6 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est lauteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal. Imprimer
Richard Millet est né en 1953, à Viam, en haute Corrèze. Il a vécu de l'âge de sept à quatorze ans au Liban, pour ensuite rentrer en France, à Paris. Son écriture rend hommage à sa terre natale mais aussi à son pays d'adoption. Sa carrière littéraire a débuté avec L'Invention du corps de saint Marc, publié en 1983 chez P.O.L Éditeur. Son livre Le Sentiment de la langue a obtenu, en 1994, le Prix de l'essai de l'Académie Française. Richard Millet est l'auteur de vingt-cinq romans dont Dévorations (2006) et Le Goût des femmes laides (2007). Il est également éditeur chez Gallimard.
Chacune des histoires racontées ici est plus ou moins trouble. Ambiguës car elles dévoilent un envers du décor, celui du quotidien, celui du désir, d'un rapport ambivalent à la sexualité surtout. Il n'y a ici rien de paradisiaque, de facile et d'évident. Les romans de Richard Millet sont tout sauf des contes de fées, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont désespérés ou glauques d'un bout à l'autre, c'est-à-dire sans beauté et sans illumination. Au contraire, ils possèdent une grande clarté (de style déjà) mais ils parlent bien de la fracture qui constitue l'être humain, sa beauté, sa fragilité.
Onze histoires, onze chroniques provinciales, d'un pays que l'auteur connaît fort bien. Le plus singulier sans doute est la quête obsédante de la chair, chair qui est à la fois belle, spirituelle et torturante, et où lamour est rare. Nous n'en sortons jamais car elle ne peut pas être comblée en même temps qu'elle procure un plaisir enivrant et vertigineux. Dans «Octavian», un jeune homme se rend dans une église où il rencontre une femme plus âgée que lui qui le fascine et qu'il désire. Le lieu n'est pas propice à première vue pour désirer une femme mais qui peut croire que la sexualité et l'amour n'ont rien de sacré ? Parfois, l'attente et la frustration ne sont pas ce quil y a de plus pénible.
Richard Millet nous parle à travers toutes ces histoires de la douloureuse solitude de l'homme et de la femme face au sexe, sexe qui procure à la fois plaisir et douleur, satisfaction et frustration, grâce et enfer. Attirance, répulsion, le corps est comme traversé de courants divers qui laissent de profondes marques intérieures.
La première phrase qui ouvre la nouvelle donnant son titre au livre dit presque tout : "J'ai souvent fait l'amour tout seul." Le texte raconte les "amours solitaires" d'un jeune homme, un adolescent, puis les premières et maladroites expériences sensuelles qu'il a avec une jeune femme, Nadine. Le récit est simple, direct, beau et âpre aussi. Comme toujours chez Richard Millet, une touche de beauté vient caresser ces vies un peu rudes, désorientées, déboussolées dans les labyrinthes du désir et des premiers émois. Tout comme dans «L'Offrande méridienne» qui raconte l'histoire entre une jeune fille et un officier. Ou encore «L'Autre miroir», plus tragique, qui se passe dans un hôtel : deux garçons regardent leur masturbation par miroir interposé jusqu'à un moment fort tragique...
Les deux dernières nouvelles, «Noces à Liginac», et «La Mort du petit Roger», diffèrent un peu du reste, des chroniques sur les petites gens, sur leur vie insignifiante, en apparence ou non. On aurait envie parfois de rapprocher Richard Millet du cinéaste Maurice Pialat dans la manière dont les deux artistes portent attention, sans rien édulcorer, à la brutalité, au côté sauvage du désir humain, la quotidienneté de l'existence avec son cortège de misères, d'envie, de rancoeurs... Certes, le style simple et limpide de Richard Millet est plus délicat dans ses descriptions que la rudesse du cinéaste ; il n'empêche que les deux hommes ont des affinités dans leur angle de vue. Beauté et tragique de la vie, des rapports de désir qui traversent les corps des hommes et des femmes, et que rien ne vient pourtant apaiser.
Yannick Rolandeau ( Mis en ligne le 20/08/2008 ) Imprimer
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