|
Poches -> Littérature |
| Jean-Baptiste Del Amo Une éducation libertine Gallimard - Folio 2010 / 7,70 € - 50.44 ffr. / 455 pages ISBN : 978-2-07-041561-8 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en août 2008 (Gallimard - Blanche) Imprimer
Il y a de la vie derrière Millet, Angot et Abecassis. Les romancières qui monopolisent les médias à chaque rentrée littéraire savent-elles que palpitent derrière lécho de leurs vacarmes médiatiques de véritables perles ?
Des romans pour de vrai, de grandes uvres aux plumes aussi jeunes que, déjà, pourtant, superbement maîtrisées. La rentrée littéraire ne vaut-elle dailleurs pas que par les talents quelle aide à mettre au monde, pépites rendues par la marée, petits joyaux dont on sempare avec gourmandise et ce plaisir de la surprise, dune très bonne surprise. À côté de cela, Catherine, Christine et Eliette, usurpatrices premières de la classe, ne brillent que dun éclat bien petit et si terne.
Jean-Baptiste Del Amo est le jeune auteur 27 ans - dun premier roman bon à couper le souffle. Une plume au classicisme assumé et parfaitement dompté sert une histoire dense, prenante, originale (même si lon pense ici aux Liaisons dangereuse, là au Parfum, ailleurs à dautres grands romans) : celle de Gaspard, jeune paysan ayant fui Quimper pour connaître dans le Paris du XVIIIe siècle une ascension digne dun Rastignac.
Sur une année, nous suivons litinéraire insolite de ce bouseux devenu courtisan au prix de sacrifices certes consentis mais pas moins difficiles, sinon abjects. Il rencontre dabord Lucas, du bas peuple comme lui, avec qui il travaille à charrier du bois dans la Seine. Mais lambition le ronge et Paris a déjà entamé en lui sa gangrène. Il franchit le fleuve, entité pour lui anthropophage, comme la cité : «Gaspard avait eu la certitude que Paris le happait, lingérait sans quil pût sextraire de son labyrinthique estomac». Du côté des faubourgs cossus, où il entre comme apprenti chez un maître perruquier, il rencontre son destin sous les traits dEtienne, noble libertin qui le fascine demblée. Mais
«Si envoûtant que fût Etienne de V., son appel était celui du vide»
Car Etienne est un Pygmalion vampire, un être dangereux. À trop vouloir lui ressembler, Gaspard fait le choix du soufre. Dune rive à lautre du fleuve, le jeune homme connaît la misère et labandon, lascension et la splendeur, la prostitution dans les bouges de Montmartre et un commerce non moins compromettant auprès daristocrates concupiscents et tout à fait prêts à lentretenir : hétaïre aux traits mâles, il se vend, et sannule pour monter
Dès lors, le seul défaut du roman est son titre, trop fade quand lhistoire et le style, eux, sont tellement envolés ; et peut-être, aussi, sa quatrième de couverture, qui sattarde sur Étienne quand tout, ici, tourne autour de Gaspard, être complexe, torturé, avide, hanté par les fantômes de son bercail (Quimper, le temps de courts paragraphes, ramène comme une mauvaise bile le souvenir de ses origines à cet enfant assoiffé davenir) et de ce quon nappelle pas encore des névroses
Lécriture opère comme un charme, fluide mais cisaillée, jouant avec maestria de lorganique. Car tout est chair ici : Paris est un organisme soumis au métabolisme des saisons, avec ses odeurs, sa chaleur et ses crasses ; Gaspard est un autre ventre dans cette histoire. Tout y est ventre, gouffre, absorption, métamorphose, destruction, plaie, lieu à la fois du plein et du vide, terrible vide, souffrance aiguë et jouissance ineffable.
Assurément, Jean-Baptiste del Amo a devant lui une grande et belle uvre. On se le souhaite.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 12/05/2010 ) Imprimer | | |
|
|
|
|