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Un anticonformiste
Eric Zemmour   Mélancolie française
Le Livre de Poche 2010 /  6 € - 39.3 ffr. / 252 pages
ISBN : 978-2-253-15780-9
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en mars 2010 (Fayard)

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

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D’emblée, le ton est donné. Péremptoire, Éric Zemmour écrit dès la première page de Mélancolie française, que «la France n’est pas en Europe ; elle est l’Europe. La France réunit tous les caractères physiques, géologiques, botaniques, climatiques de l’Europe. Elle est (…) le seul pays à la fois du Nord et du Midi, de l’Est et de l’Ouest». Plaisant à lire du fait de la finesse du style de l’éditorialiste et de son érudition historique, les vues que présente l’ouvrage sont sinon à rebours de l’historiographie contemporaine, du moins fort singulières et anticonformistes.

Carthage triomphe de Rome

L’Hexagone, avance-t-il, recèlerait «trop de talents, trop de richesses, trop de ressources. Trop de choix. Trop d’hommes, trop d’idées, trop de raffinements». Alors que l’Angleterre n’aurait «que la mer» et «l’Allemagne seulement le continent», la France serait «le seul pays d’Europe à la fois continental et maritime». D’où le double défi d’être un peuple à la fois terrien et naval. A l’instar de la fable du héros malheureux de la mythologie grecque Midas, possédant le pouvoir qui devait le mener à sa perte de transformer en or tout ce qu’il touchait, cette abondance aurait au final nui au grand dessein français de «rassembler l’Europe continentale». L’ambition de la «nouvelle Rome» française - pis, sa vocation ! - a en effet longtemps été de donner à l’Europe «la paix romaine». C’était son «destin».

Et Éric Zemmour de brosser l’historique de ce rêve français d’unifier le continent sous son commandement. Si le «traité de Westphalie de 1648 donnait les clefs de l’Europe à la France», première puissance démographique, militaire et culturelle de l’époque, l’édit de navigation anglais infligea dès 1651 un premier coup d’arrêt à cette ô combien providentielle marche vers la francisation de l’Europe : «il a donc suffi de trois petites années, continue l’essayiste, pour que la nouvelle Rome ait trouvé sa Carthage. Celle-ci retourne bientôt l’antique imprécation : il faut détruire Rome. L’Angleterre commence en effet une nouvelle «guerre de Cent Ans» contre la France : sept guerres de 1689 à 1815», qui tournèrent finalement à l’avantage de l’Angleterre et au cours desquelles la France révolutionnaire touchait au but. Au terme de cet antagonisme entre la mer et le continent, hantée par le souvenir de sa défaite à Waterloo, la France aurait renoncé à son entreprise impérialiste pour devenir en quelque sorte l’auxiliaire, le brillant second, d’abord de l’Angleterre, puis de l’Allemagne et pour finir des États-Unis d’Amérique.

Provocateur, Éric Zemmour s’interroge au cours de son récit de l’histoire de France sur l’infect Pétain : «louangé pour avoir attendu les Américains en 1917, il est, écrit-il, vilipendé pour avoir refait le même choix en 1940. Son attentisme aurait été salvateur dans le premier cas, immoral et funeste dans le second. (…) Et si c’était l’inverse ? Et si Pétain avait toujours été le même, dès 1914 ? Et si – question sacrilège – le bon choix, il l’avait fait en 1940, et que la faute contre la guerre, l’histoire, la France, ce fut en 1917 qu’il l’avait accomplie ?». Et si Pétain s’était fourvoyé à deux reprises : une première fois en 1917 («avec Pétain, affirmait à l’époque le général Mangin, les Boches seront encore là en 1940») à cause de son attentisme et à nouveau en 1940, lorsqu’il a anéanti la IIIe République et refusé de continuer la guerre contre le nazisme depuis les bases arrières de l’empire colonial ?

A la fin de l’ouvrage, le propos de l’essayiste se fait - trop ? - pessimiste. A cet égard, le titre du chapitre conclusif est très éloquent, puisqu’il s’intitule fort sentencieusement «La chute de Rome». Il y est question de la disparition de l’Hexagone, rien de moins ! Si la France parait enrayer son déclin démographique amorcé au début du XIXe siècle, elle le devrait principalement à l’immigration. Regrettant «l’interdiction des statistiques ethniques», pourtant contraires aux traditions hexagonales qu’il goûte tant, Éric Zemmour prétend que l’on assisterait en France à une «recomposition du paysage humain», au «grand remplacement». Ce qui d’après lui serait inquiétant dans la mesure où le credo assimilationniste de la République française serait rejeté par les nouveaux arrivants. Traditionnellement «impérieux et égalitaire», l'État «veille à ce que ne se constitue pas, au fil des générations, une population étrangère exclue du corps de la nation». Quitte à devenir intrusif, voire à faire montre de despotisme, le pouvoir français ne saurait souffrir un imperium in imperio, c’est-à-dire un «État dans l’État».

La réflexion de l’auteur laisse songeur. La culture est pourtant de l’ordre de l’artefact. Elle s’oppose par définition à la nature, car elle suppose l’action des hommes. Elle est un construit, fait d’ajouts et retranchements progressifs. Une culture nationale n’est par conséquent point innée ou définitive, mais dynamique, évolutive et souple – en un mot vivante - du fait notamment de l’acculturation et de l’immigration. La grandeur d’une culture nationale se jauge moins à sa capacité de repli qu’à son aptitude à s’ouvrir, à emprunter et à s’améliorer. Une culture figée, c’est une culture en voie de disparition. C’est un souvenir en devenir.

On peut, en outre, supposer que la vieille recette républicaine de l’assimilation, héritée de l’empire romain, est désormais quelque peu déphasée ou, pis, qu’elle ne fonctionne tout simplement plus du fait de son obsolescence. Évacuant bien rapidement l’intégration à l’anglo-saxonne, Éric Zemmour ne s’étend pas - hélas ! - sur le sujet des éventuels correctifs à apporter à la méthode républicaine afin de la rendre plus opérante…

Quid de l’identité européenne ?

L’essayiste semble, par ailleurs, considérer que l’Histoire est un éternel recommencement, qu’elle se répète invariablement et «à l’infini». C’est pourquoi, réduisant le champ des possibles à quantité négligeable, Éric Zemmour parait sous-estimer la possibilité de s’extirper des affres de celle-ci. Pourtant, le sursaut est bel et bien imaginable. Peut-être l’Union européenne inaugurera-t-elle prochainement le commencement d’une nouvelle ère : celle des fédérations, succédant à «l’âge des empires et au temps des nations» (Christophe Barbier).

Cela supposerait de remédier au déficit démocratique des institutions communautaires. Pour ce faire, le patriotisme constitutionnel représente un élément de solution approprié au schéma européen. Il s’agit en effet de permettre le développement d’une culture politique, sur laquelle se fonderait l’unité dans le maintien de la diversité des identités nationales. C’est pourquoi le culturel doit se détacher du politique, en vue de faciliter une solidarité entre citoyens européens visant, in fine, à une nouvelle recomposition identitaire. Le préalable à l’émergence d’une culture politique européenne réside dans la mise en place d’un véritable espace public communautaire. L’«usage public du raisonnement» à l’échelle européenne mènera d’abord à la reconnaissance de la communauté de valeurs et de destin que forme l’Europe, puis progressivement à de possibles approfondissements de la citoyenneté européenne. Plutôt que de se crisper sur l’identité nationale, Éric Zemmour pourrait donc se pencher sur l’identité européenne en gestation.


Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 01/12/2010 )
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